Critique : Lettre à la prison
Certains films ont un itinéraire parfois aussi intéressant que leur contenu. Réalisé il y a 40 ans grâce à une caméra prêtée par Chris Marker, avec un son enregistré après coup sur un magnétophone, Lettre à la prison n'est finalement jamais sorti. Parce que Marker n'aimait pas le résultat, les producteurs ont finalement lâché Marc Scialom, arguant de plus du manque de profondeur politique du film. Enfin sorti des cartons sous l'impulsion de la fille du réalisateur, le voici enfin disponible sur grand écran, objet de cinéma étrange et intriguant, et véritable expérience grâce à (ou en dépit de) ses particularités techniques.
Lettre à la prison
raconte l'arrivée à Marseille d'un jeune Tunisien venu sauver son
frère, emprisonné à Paris pour meurtre. S'il a des allures de
documentaire, le film ne prend jamais vraiment cette direction,
ressemblant davantage à un journal filmé, fantasmé, onirique par
endroits, le récit du cauchemar progressif vécu par le jeune héros. Le
film se détourne régulièrement de son sujet, s'attardant sur des
foules, des lieux, des sensations, dans une frénésie visuelle d'autant
plus perturbante qu'elle est accompagné d'un travail sur le son ô
combien déconcertant. Ce sont d'abord des dialogues même pas calés sur
les mouvements des acteurs, l'enregistrement s'étant fait sans même
l'aide des images. Ce sont ensuite des bruits dérangeants qui procurent
une sensation d'angoisse, d'asphyxie.
Ce décalage stylistique
permanent est aussi la limite d'un film dans lequel il est difficile
d'entrer ; mais quoi de plus normal pour une oeuvre explorant au final
les méandres de l'esprit plutôt dérangé du héros ? Plus psychanalytique
que politique, Lettre à la prison
a de quoi décontenancer mais vaut le détour, sa courte durée étant un
argument suffisant pour tenter sa chance sans prendre trop de risques.
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