Critique : L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot

Nicolas Thys | 11 novembre 2009
Nicolas Thys | 11 novembre 2009

Il existe des films maudits, véritables objets de culte auxquels rêvent de nombreux cinéphiles fous, recherchant désespérément quelques bribes d'images, rêvant face aux reconstitutions de quelques monteurs de l'allure qu'ils auraient pu avoir s'ils avaient été menés à terme. On en connait certains à travers l'histoire rocambolesque de leur tournage. Et d'autres ont simplement disparu. L'Enfer de Clouzot fait parti de cette dernière catégorie. Son histoire est insensée et chaotique. Et pratiquement impensable. Si aujourd'hui ce film est pratiquement oublié, à l'exception d'une partie de la cinéphilie la plus acharnée, il mérite qu'on y revienne et le documentaire de Serge Bromberg fait merveille.

Réalisé en 1963 au cours d'une révolution cinématographique, la Nouvelle Vague, l'Enfer cherchait à bouleverser le cinéma d'une autre manière. Henri-Georges Clouzot, cinéaste génial encore célébré aujourd'hui pour ses Diaboliques, son Corbeau ou le Salaire de la peur, mais à l'opposé du style des Godard, Truffaut ou Rivette qui sévissaient alors, visait un renouveau stylistique visuel et sonore. Passionné d'art - on le voit avec Le Mystère Picasso - il obtint un budget illimité de la part de la production pour réaliser un film sur une histoire simple basée sur la jalousie mais formellement novateur avec des expériences plastiques inspirées par l'art cinétique et couplées à une bande son qui tendrait vers la musique concrète naissante.

Romy Schneider, qui voulait dans se film laisser de côté son image d'impératrice lisse, accompagnée de Serge Reggiani, Dany Carrel ou Mario David figurait au casting de ce qui s'annonçait comme le film de la décennie. Malheureusement, rien ne s'est passé comme prévu. Au bout de trois semaines (sur les 18 envisagées), le tournage s'interrompit brusquement car l'artiste devenu incontrôlable (conflit avec Reggiani qui avait quitté le tournage depuis quelques jours, tensions avec Schneider et toutes les équipes techniques qui ne comprenanient pas où voulaient en venir Clouzot) eut un malaise cardiaque en plein milieu d'une scène. Les bobines furent mises sous scellés et, à cause de problème de droits, les 13 heures de rushes sont restées invisibles pendant 45 ans. Seules quelques minutes ont pu être dévoilées par Fréderic Mitterrand à l'occasion du 10ème anniversaire de la mort de Romy Schneider  en 1992 (images qui ont fortement inspirées Michel Gondry peu de temps après pour le clip d'Etienne Daho, Les Voyages immobiles).

45 ans plus tard, Serge Bromberg, dénicheur de merveilles, fondateur de Lobster films et que les amateurs de films de la RKO voient régulièrement dans les préfaces des DVD édités chez Montparnasse, parvient à récupérer les droits de cet objet fantasmatique. Il visionne les documents et il se décide à montrer ces bribes d'images miraculeusement retrouvées mais muettes ainsi qu'une bobine d'essais sonores dans ce documentaire où il revient sur le tournage du film de Clouzot, les relations entre les interprètes et le cinéaste ainsi que sur les problèmes survenus et le mystère global qui entoure l'œuvre. À l'aide de témoignages de personnalités ayant participé au film, il remonte aux sources de cet objet indéterminé qui laisse encore planer de nombreuses zones d'ombre.

Des images du film, ce qu'on peut en dire c'est qu'elles sont éblouissantes et la frustration de ne pas avoir l'œuvre achevée est encore plus intense. Certains les trouveront trop rares dans l'heure et demie de film par rapport aux 13h retrouvées mais quand on sait que Clouzot a filmé parfois pendant plusieurs heures les lèvres de Schneider pour des plans qui auraient pu n'être que des inserts d'une ou deux secondes dans le rendu final, on peut se contenter amplement des quelques minutes dont il nous gratifie. Symétries parfaites, jeux visuels étonnants, noir et blanc exceptionnel, technique jamais vue, tout laisse rêveur : un film qui aurait eu 20 ans d'avance s'il était sorti. Malheureusement la musique n'a jamais été écrite (la magnifique partition entendue sur les images a été composée pour le documentaire), et on ne saura jamais quelle utilisation véritable Clouzot aurait fait des images et du son.

À ceux qui penseraient au film de Chabrol, L'Enfer, précisons qu'il s'agit bien d'une adaptation du scénario de Clouzot mais, étonnamment, il n'est jamais mentionné dans le film de Bromberg. Un autre mystère non résolu !

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