Critique : Katalin Varga
Viol, vengeance, exil : Katalin Varga n'est pas exactement une comédie, mais évite le misérabilisme tout en gardant toujours ses distances vis-à-vis d'une quelconque dimension sociale. Tourné en Roumanie avec des acteurs du cru, le premier long du britannique Peter Strickland est une claque, un classique immédiat qui ravira les fans de Tarkovski, les détracteurs de Reygadas, et pas mal d'autres. Le film raconte la fuite d'une femme, chassée par son mari après qu'il a appris que son fils n'est pas son fils, mais le fruit d'un viol évidemment sordide survenu des années avant. Pour une simple histoire d'honneur, voici Katalin et le jeune Orbán contraints de sillonner les routes, pour un voyage qui va rapidement se transformer en vendetta contre les deux responsables du drame et de ses conséquences.
C'est une fois ce postulat établi que le film prend
réellement son envol, se singularisant très rapidement par la puissance
absolue de sa mise en scène. Dans Katalin Varga,
la durée des plans a un sens et le travail du son - récompensé par un
Ours d'Argent à Berlin - un atout majeur, transformant chaque scène en
un monument d'inquiétude, de magie angoissante ou de beauté sordide.
Les travellings pénètrent les décors et les êtres pour mieux les
sonder. On vibre et on tremble au contact de cette sensationnelle
héroïne qui, loin de pleurer sur son sort, assume avec un aplomb
monstrueux son statut de victime absolue et semble déterminée à
orchestrer une vengeance simple mais déchirante. Avec une infinie
justesse et une retenue salvatrice, Strickland évite au film de tomber
dans la case polar, se concentrant uniquement sur son personnage
principal, ses relations avec son fils, son rapport à la nature... et
ses retrouvailles avec ses agresseurs.
Les évènements, bien que
dépourvus de calcul, prennent alors une tournure perverse dans une
dernière partie extrêmement tendue, imprévisible et magnifique. Au
coeur de tout cela, un moment de cinéma encore plus extraordinaire que
les autres, dans un champ - contrechamp ébouriffant. Ayant retrouvé son
violeur, qui ne l'a pas reconnue, Katalin part en barque avec l'homme
et son épouse, et choisit de ce moment d'intimité pour raconter en
détail le viol dont elle a été victime. En une fraction seconde, juste
le temps que celui-ci comprenne, une relation en triangle perverse et
ambiguë s'est installée, qui ne pourra se dénouer que dans la douleur.
La barque fait mille tours sur l'eau, les personnages sont KO debout,
et le spectateur est en suspension, grisé par la cohérence et la beauté
absolue de cette oeuvre. Strickland s'impose comme l'anti Reygadas,
travaillant lui aussi sur la durée mais parvenant à en dire davantage
en une heure vingt-cinq que le mexicain en deux heures trente. Très
grand film.
Lecteurs
(4.5)