Critique : La Vida loca

Thomas Messias | 1 octobre 2009
Thomas Messias | 1 octobre 2009

Les distributeurs de La vida loca se seraient bien passés d'un tel coup de pub : début septembre, le réalisateur Christian Poveda était assassiné au Salvador, sur les lieux où il avait tourné ce documentaire pendant des mois et des mois. Heureusement, il n'est nul besoin de tomber dans l'éloge funèbre et de tirer sur la corde sensible pour vanter les mérites d'un film âpre, passionnant, qui va jusqu'au bout de son sujet et refuse toute manipulation cinématographique.


Amoureux des images plus que des mots, estimant que quelques plans peuvent en dire davantage que bien des discours, Poveda opte pour des partis pris nets et précis qui le désencombrent de toute lourdeur didactique. La voix off est remplacée par quelques cartons d'introduction amplement suffisants, et les conversations entre les protagonistes sont préférées aux interviews face caméra. Les images parlent pour elles-mêmes, et la fluidité prime. L'effroi aussi : suivant la piste des Maras, terrifiants gangs sévissant en Amérique centrale, La vida loca montre des humains cassés et/ou hors des réalités, si conscients de l'imminence possible de leur mort qu'ils se conduisent de façon désespérée. Le Salvador et les pays voisins semblent être devenus de gigantesques terrains de jeu pour ces armées de petits soldats bien décidés à perpétuer leurs traditions guerrières et leur culte de la terreur. Dissimulés derrière un code d'honneur très cadré, ils sèment la mort et se croient légitimes.


Christian Poveda va à leur rencontre, filmant au plus près leurs tatouages, leurs impressionnantes cicatrices, et évidemment leurs nombreuses blessures intérieures. La vida loca est un film d'une dureté totale, qui cloue au fauteuil par la simple force du montage. À plusieurs reprises, le réalisateur se choisit un sujet et le retrouve régulièrement afin de constater l'avancée (ou la stagnation) de sa situation et d'enregistrer sa perception de cet univers-là. Et puis pan, jump cut, cette même personne apparaît dans un cercueil, tuée sans prévenir par le gang adverse au sein d'une bataille sans fin. Désespérant et glaçant, d'autant que le film montre l'impuissance totale de la police et le manque d'envergure de l'armée, incapables d'enrayer cette spirale de violence qui semble ne pouvoir s'arrêter que lorsqu'un des deux gangs sera totalement anéanti. Pour le moment, des milliers de personnes meurent chaque année, hommes et femmes de tous âges, broyés dans une machine infernale dont ils ne saisissent pas l'absurdité. « Tu ne peux plus faire marche arrière », affirme en conclusion un membre de la Mara à un petit jeune fraîchement intégré. Ce constat terrible est magnifiquement mis en valeur par le regretté Poveda, documentariste que la France découvrait à peine et qui lui manque déjà.

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