Critique : The September issue

Thomas Messias | 22 septembre 2009
Thomas Messias | 22 septembre 2009

Le diabke s'habille en Prada, disait la gentille comédie de David Frankel, dont l'héroïne s'inspirait fortement d'Anna Wintour. Prada or not Prada, telle n'est pas la question ; en revanche, The september issue ne la fait jamais apparaître comme un être diabolique. Anna Wintour serait plutôt une girouette hors normes, la seule à pouvoir prédire le sens du vent tout en indiquant à Éole dans quel sens il doit souffler. Une femme d'influence capable de faire et défaire la mode à son gré, de balayer d'un revers de la main une tendance prometteuse ou le fruit d'un travail de titan. Tout ça apparemment sans calcul, mais dans le seul but de livrer chaque mois un nouveau numéro du magazine Vogue, encore plus irréprochable et original que le précédent.


Chez Vogue, le point culminant a lieu en septembre, avec la parution d'une édition de rentrée plus épaisse que l'annuaire de la Creuse, guide de référence de la saison à venir qui sera lu par une américaine sur dix. The september issue consiste en un making of, étalé sur environ six mois, de l'élaboration de ce fameux numéro. L'occasion pour le réalisateur R.J. Cutler d'infiltrer la rédaction et de s'intéresser non seulement à la façon de faire et d'être d'Anna Wintour, mais aussi à quelques-uns de ses collaborateurs, loin de paraître effacés malgré le charisme bestial de la dame. Une caméra libre et un montage alerte permettent de se plonger totalement dans la frénésie qui anime une rédaction excitée par les enjeux multiples, qu'ils soient collectifs - réputation de la revue, expansion financière - ou individuels - être en bons termes avec Anna, être dans les petits papiers d'Anna, ne pas se faire virer par Anna. La Wintour a beau ne pas être le diable incarné, sa froideur naturelle et son exigence ahurissante en font en effet une personne qu'il vaut mieux ne pas contrarier.


Mais quelques irréductibles parviennent à tenir tête à la prêtresse de la mode. En tout cas une : sous une tignasse rousse un peu douteuse, une certaine Grace Coddington se montre aussi têtue et aussi ambitieuse que sa supérieure. L'entente est loin d'être toujours cordiale, les échanges ressemblent parfois à des dialogues de sourds, mais le respect est bel et bien présent entre celles qui débutèrent leurs carrières côte à côte. The september issue fait cohabiter de façon relativement équilibrée ces deux personnalités hors normes, dont l'alliance produit un humour toujours savoureux et jamais gratuit. La façon qu'a Anna Wintour d'émettre des avis express sans mettre de gants est évidemment savoureuse, mais les râleries de Grace en coulisses le sont tout autant. Une façon pour elle de combler sa rage de voir tout un travail réduit à quelques pages puis tronqué et re-tronqué sous l'impulsion de l'impitoyable rédactrice en chef. Le film de R.J. Cutler transmet à merveille la frustration partagée par l'artiste et le journaliste, dont les efforts répétés sont d'abord condensés avant d'être jetés en pâture à des critiques qui livreront leur opinion en quelques mots à peine. Si le film peine à humaniser Wintour, qui ne fait qu'un avec son job et n'a apparemment aucune faille (le regard de sa famille, peut-être ?), il rend tous les autres beaucoup plus accessibles, attachants et fragiles, s'éloignant brillamment d'un univers souvent réduit à ses facettes les plus artificielles.

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