Critique : La Rumeur
Alors en fin de carrière, quelque part entre Ben Hur et L'obsédé, William Wyler réalisait cette adaptation de la pièce de Lillian Hellman. À moins que ce ne soit un remake d'Ils étaient trois, autre version ciné de la même pièce, réalisée en 1936 par... Wyler lui-même. Plus moderne et mieux incarné, La rumeur est plus intéressant que l'original, d'autant qu'il est réalisé à une époque où l'homosexualité était encore un tabou mais commençait à faire parler d'elle çà et là. Presque cinquante ans plus tard, on ne peut qu'être frappé par l'aspect très contemporain d'un film dont les thématiques semblent toujours neuves. Avec cependant une grosse différence : même pour le réalisateur, l'homosexualité semble être quelque chose de difficilement admissible et de tout à fait scandaleux. Le traitement de la possible relation lesbienne entre les deux héroïnes est sensiblement le même que celui de la prétendue pédophilie du curé de Doute, sorti cette année. Autres temps, autres moeurs : difficile d'en tenir rigueur à un Wyler qui fournit visiblement de gros efforts pour tenter d'être plus tolérant que son époque.
Plus qu'un plaidoyer pour l'acceptation de l'homosexualité féminine, La rumeur
est comme l'indique son titre français une réflexion sur le pouvoir
destructeur des on-dit, toute étiquette vaguement honteuse qui vous
colle à la peau semblant scellée à vie même après un démenti formel et
officiel. Le film montre assez bien comment une simple rumeur peut
saccager non seulement la vie des personnes qu'elle concerne
directement, mais également celle des membres de l'entourage. Wyler
s'intéresse également au mensonge des enfants et à l'escalade que cela
entraîne ; cela rappelle la tristement célèbre affaire d'Outreau. À
ceci près, rappelons-le une fois encore, qu'il ne s'agit pas ici de
pédophilie, mais de lesbianisme... Mais le mécanisme du mensonge et de
la manipulation est le même.
Ce qui manque au film pour avoir
l'étoffe d'un classique et d'un inestimable document d'époque sur un
sujet moins tabou aujourd'hui, c'est que William Wyler n'est pas
parvenu à déthéâtraliser l'intrigue. Certaines ficelles sans doute
acceptables sur les planches apparaissent semblent ici bien trop
grosses. Un exemple ? Parmi les deux petites filles qui lancent la
fameuse rumeur à propos des directrices de leur école, l'une est la
meneuse et l'autre est une simple suiveuse, apeurée par sa camarade.
Lorsque la suiveuse est interrogée (par les "suspectes", ce qui n'est
déjà pas très crédible), c'est en présence de la meneuse, qui se place
dans son axe pour lui offrir le regard le plus menaçant qui soit.
Comment croire que cela se déroulerait ainsi dans la réalité ? Truffé
de petites approximations comme celle-ci, plombé par une fin prévisible
et inutilement longue, La rumeur
est au bout du compte une pilule difficile à avaler, même si les
prestations d'Audrey Hepburn et surtout Shirley MacLaine sont
absolument admirables et sauvent le film à plus d'une reprise.
Lecteurs
(3.0)