Critique : Le Père de mes enfants

Thomas Messias | 2 juin 2009
Thomas Messias | 2 juin 2009

Dans un récent compte-rendu de son festival de Cannes, un critique se demandait s'il n'aurait été aussi touché par Le père de mes enfants en n'ayant pas connu Humbert Balsan. Balsan, pour qui l'ignore, est un producteur réputé pour son goût du risque, son ouverture et son humanité, qui se donna la mort en 2005. La réponse est simple : si l'ombre de Balsan rôde à n'en pas douter sur le film, Le père de mes enfants n'exige absolument pas d'avoir fréquenté ou même de connaître l'existence de ce grand monsieur. Mia Hansen-Løve s'est simplement appuyée sur quelques bribes de réalité pour bâtir le personnage de Grégoire Canvel, dirigeant de la société Moon Films, qui passe sa vie à gérer problèmes d'ego, soucis de création et pépins financiers. Et tente, accessoirement, de ne pas perdre de vue sa femme et ses trois filles. Ce n'est pas un secret : comme Balsan dans la vraie vie, Canvel va plier, plier, plier sous le poids des dettes avant de craquer soudainement et de se donner la mort.


Le film raconte l'avant et l'après, pour une construction en deux parties bien distinctes mais qui ne cessent de se répondre et de s'alimenter. On suit d'abord la lente dérive de Canvel, qui affiche un détachement serein à l'égard de ses problèmes de trésorerie et se réfugie, quand il parvient à lâcher son téléphone, dans un giron familial chaleureux et aimant. On y retrouve ce qui faisait déjà la beauté de Tout est pardonné, premier long de la réalisatrice : la finesse absolue du trait, qui ne rend que plus visibles les blessures intérieures d'un homme passionné et naufragé, et une direction d'acteurs proprement hallucinante. Est-ce dû à son jeune âge (28 ans à peine) ? Toujours est-il qu'il n'y a actuellement pas plus doué que MHL pour choisir et diriger des enfants, et ainsi rendre palpable l'amour (réciproque) que leur porte leur père. Celui-ci est incarné par une révélation, le méconnu Louis-Do de Lencquesaing, dont on a lu le nom dans un millier de génériques de films sans avoir vraiment posé un visage dessus. Cette fois, c'est fait : on oubliera difficilement son visage et son charisme. Peut-être ressemble-t-il à Humbert Balsan, ou peut-être pas. On s'en fout : dès les premières images (longues conversations téléphoniques), il nous happe et ne nous lâche plus.


Le beau désespoir de cette première partie laisse brutalement place à la détresse des quatre femmes de la vie de Canvel, et de ses quelques proches. Mais là où cette seconde moitié nous bouleverse, c'est parce qu'elle est loin de s'arrêter à une simple description du deuil, avec voile noir et sanglots mal contenus. Hansen-Løve parvient à filmer l'absence, et c'est d'une beauté insondable. Tout comme sa façon de dépeindre les efforts fournis par les rescapés pour tenter de mener à bien, malgré tout, les derniers projets de cet homme laissant un vide gigantesque derrière lui. Cette description de la gestion d'un patrimoine et des souffrances qui vont avec rappelle, en mieux encore, ce qu'avait réussi Olivier Assayas (tiens ?) dans L'heure d'été. Filiation renforcée par la présence commune aux deux films d'Alice de Lencquesaing, fille du héros dans la vie comme dans le film, et qui s'impose au final comme la véritable héroïne de cette deuxième partie. Pendant que les adultes gèrent comme ils peuvent un catalogue de films et un réalisateur suédois, Clémence profite de ses derniers instants d'adolescence pour tenter de comprendre un peu son père. Jamais Mia Hansen-Løve ne commettra le plan de trop, la réplique superflue qui gâche tout, le rebondissement inutile. En mouvement perpétuel, Le père de mes enfants n'est cependant jamais écrasé par une quelconque mécanique dramatique, restituant par la force de la mise en scène (image et montage sont magnifiques) ces fragments de vies brisées qui se poursuivent tant bien que mal, un pas après l'autre, dans le tumulte de la vie parisienne ou dans la clarté estivale d'une maison de campagne.

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