Critique : L'Esprit de la ruche

On entre dans l'Esprit de la ruche comme dans un rêve ou dans un cauchemar, celui d'Ana, petite fille de 8 ans perdue au milieu des vastes plaines espagnoles peu après la guerre civile en 1940 ; perdue au milieu d'un monde qu'elle ne comprend qu'à travers son regard non marqué par les événements traumatisants de la réalité mais par le regard que lui apportent le cinéma et sa vision de Frankenstein dans une petite salle de village.

Monstre ambigüe auquel le cinéma à donné forme, Frankenstein est le motif récurrent du film. Certains parleront de remake détourné, nous préfèrerons le terme d'inspiration car c'est l'esprit d'une œuvre et d'un fantastique rêvé que le cinéaste a absorbé et déversé sur son œuvre goutte à goutte, tout en nuances. Bien avant Le Labyrinthe de Pan dont on perçoit la filiation, Victor Erice a choisi le réel pour parler du monde terrifiant et merveilleux de l'enfance. Et comme Bachelard l'a écrit : « Imaginer c'est hausser le réel d'un ton ».

Entre cette guerre qui fait rage et qu'on entend dans les propos des adultes, ce soldat rebelle qu'elle soigne en pensant aider un esprit ou encore cette ruche qui est sa demeure avec ses alvéoles orangées flamboyantes, la mort feinte ou non de sa sœur et ce monstre fantomatique qu'elle cherche partout, la frontière entre les deux univers est mince. On passe de l'un à l'autre selon le regard que l'on porte sur le monde en suivant Ana dans un dédale de lumières étonnantes à la fois sombres et chaudes.

Elle comprend le monde selon ses désirs, ses croyances et ses rêves et le monde se plie à ses volontés en même temps qu'elle se laisse porter par ce dernier et la folie ambiante qui règne tout autour d'elle. Finalement l'Esprit de la ruche fait l'expérience d'un rêve. C'est l'enfance retrouvée au milieu d'un univers dont on prend conscience et duquel on cherche à s'évader en même temps qu'Anna.