Critique : Lake of fire

Julien Foussereau | 2 septembre 2008
Julien Foussereau | 2 septembre 2008

Dix ans que l'on attend une occasion en or pour oublier American History X, grotesque premier film du clippeur / pubard Tony Kaye (vous savez ? Cinq minutes de pliage de linge aux côtés d'un gentil black en tôle pour qu'un skinhead endurci vire sa cuti... On en rigole encore !). C'est aujourd'hui chose faite et de la plus inattendue des façons avec Lake of Fire, documentaire fleuve sur la question de l'avortement aux Etats-Unis.

 

17 ans de gestation, autofinancé, Lake of Fire a pour lui de sortir du lot commun des docs de l'Oncle Sam, ni pamphlétaire à la Michael Moore, ni formaté pour PBS, la chaîne publique outre-atlantique. Lake of Fire se compose essentiellement de couvertures sur le terrain de manifestation pro-life et pro-choice, de tranches de vie et de témoignages, le tout dans un noir et blanc 35mm des plus soyeux (peut-être le seul point commun avec American History X...). Un tel soin esthétique apporté à la mise en image, aux antipodes d'un Frederick Wiseman, pourrait être rédhibitoire. Il se justifie pleinement dans le sens où Lake of Fire (le lac de feu en Enfer où les pécheurs sont censés périr pour l'éternité) s'apparente à un kaléidoscope d'opinions et d'expériences sur l'avortement légal pratiqué depuis 1973 aux USA. Et de haines.

 

Car ce que montre Kaye fait froid dans le dos. Dans un pays où la ferveur religieuse dépasse trop souvent les droits de l'homme, les passions que peuvent déchaîner l'interruption volontaire de grossesse conduisent certains à assassiner des obstétriciens ou faire sauter des cliniques. Lake of Fire fait mouche quand il s'attarde à décrire la redoutable puissance de feu des lobbys pro-choice, très souvent lié aux chrétiens fondamentalistes. N'hésitant pas à acheter toutes les parcelles environnant les cliniques afin de terrifier les patients et le personnel médical. Sur ce simple aspect, Kaye démontre que cette terreur physique et psychologique porte ses fruits : bien que la décision Jane Roe vs. Wade soit effective depuis 35 ans, le nombre d'établissements diminue à cause de la raréfaction de médecins compétents, les aides des états à destination des programmes médicaux pro-contraception ont fondu comme neige...

 

Ce que laisse également entendre le documentaire, probablement à raison, c'est que l'avortement est un arbre cachant la forêt : une excuse de certains déséquilibrés pour faire couler le sang au nom de Dieu, une première étape pour beaucoup visant à retourner un siècle en arrière afin d'asservir les femmes et de transformer ce pays en théocratie. On est d'ailleurs stupéfait par la surmultiplication de témoignages hargneux, filmés en très gros plan sur les visages. En apparence seulement. Lake of Fire met un point d'honneur à ne pas prendre position. Il ne trompe cependant personne tant les arguments des pro-life guidé par la déraison (souvent émis par des hommes soit dit en pasant) ne valent pas tripette face à ceux imparables émis par des pointures comme Noam Chomsky.

 

Restent ces séquences chocs où Kaye exhibe le contenu d'un utérus aspiré après un avortement. Difficile d'affirmer après ces images qu'un foetus n'est qu'un amas de cellules tant la vision déchire le cœur. Oui, c'est bien un être en devenir déjà bien avancé que l'on supprime. Soyons clairs toutefois, l'avortement n'est et ne sera jamais une décision à prendre à la légère. Mais elle ne doit appartenir qu'à la patiente. Entre une opération médicale sécurisée par un obstétricien compétent et un avortement clandestin perpétré au cintre ou au détergent pouvant conduire à la mort, le choix ne souffre d'aucune discussion.

 

C'est un peu la limite de Lake of Fire : celle d'un documentaire qui n'assume pas réellement sa position, à l'image d'un pays tenté de revenir à des temps peu glorieux. Chez nous, où le débat est dépassionné et surtout laïcisé, où, pour beaucoup, interdire l'I.V.G. est un signe extérieur de connerie, Lake of Fire risque de laisser de marbre.

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