Critique : Shadows in paradise

Nicolas Thys | 30 juin 2008
Nicolas Thys | 30 juin 2008

Parmi les premiers films de Kaurismaki figurent trois œuvres assez courtes généralement regroupée sous le nom de « Trilogie ouvrière » : Shadows in paradise, Ariel et La Fille aux allumettes. Leur point commun : une description réaliste du monde ouvrier à travers le regard de deux hommes et une femme, leur force : le cinéaste ne sombre jamais dans un pathos exaspérant et très souvent utilisé pour parler d'un milieu plutôt pauvre.

 

A travers ces trois portraits le réalisateur finlandais parle essentiellement de l'Homme en général, de sa solitude, de sa liberté et de son besoin d'autrui comme si la condition humaine ne pouvait qu'être filmée à l'état brut par des gens simples, jamais vraiment beaux, ni riches ni pauvres et se contentant le plus souvent de ce qu'ils possèdent d'un point de vue strictement matériel. Par des gens, en somme, qui se fondent dans la masse et n'aspirent qu'à une chose qui pourrait les délivrer d'une société ou l'argent est roi : un compagnon. Pas une âme sœur, concept de contes de fées, ni un amour passionnel et cruel, irréaliste et réservé aux « fleurs bleus », mais une présence au quotidien à aimer vraiment et c'est ce qui fait de ces trois récits intimistes des films d'une grande force réaliste, romantique et poétique car justement ils ne cherchent jamais à dénaturer l'humain, le monde et les sentiments.

 

A cette trilogie les termes « réalisme poétique » conviendraient. Aucun rapport avec le mouvement français associé à Carné ou Prévert mais ils donnent chacun à leur manière une vision réaliste d'un monde, jamais vraiment exagérée, tout en étant conforme à la vision et au style habituel très marqué, très coloré et poétique de Kaurismaki. Une vision du monde qui est à la fois une vision d'auteur.

 

Shadows... et Ariel sont des regards d'hommes qui se répondent étrangement : à chaque fois l'histoire d'un homme, de son ami, d'une femme et d'un enfant. Les deux films montrent assez vite un mort et sont ponctués d'une rencontre amoureuse, d'un passage à tabac de l'homme, d'un voyage en bateau et d'une scène près de la mer bercée par une chanson d'amour. Pourtant ils sont différents et leur récit bifurquent rapidement : le premier parle de la liberté gagnée grâce à l'amour et de la parole retrouvée et le second d'une liberté à gagner crapuleusement suite aux dégâts causés par la société sur un innocent accusé à torts.

 

La Fille... est un regard féminin, plutôt naïf mais très cruel. Ici la parole est en crise. Si de nombreux films sur la solitude comble le vide par un déluge de paroles souvent inutiles, Kaurismaki sait s'en passer et devint l'un des rares cinéastes à comprendre que pour discuter il faut être deux. En absence d'un autre le mutisme est inévitable. Ce film rencontre aussi ses deux compagnons cinématographiques mais il s'en détache rapidement : l'enfant part vite, la plage n'est plus et les chansons d'amour font office de monologues intérieurs. Le tragique n'est pourtant pas exempt parfois d'une touche comique mais ce que montre le cinéaste c'est que la femme est l'esclave de conventions sociales archaïques et conservatrices qui ne peuvent que la conduire à la folie.

Résumé

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