Critique : La Rue rouge

La Rue rouge se situe au croisement de deux autres œuvres. La première de Jean Renoir puisque ce film est un remake de La Chienne du cinéaste français que Fritz Lang admire et auquel il va ôter la dimension naturaliste et parfois teintée de comique afin de reprendre l'œuvre à son compte et de lui apporter sa touche personnelle, très stylisée, jouant magnifiquement des contrastes entre noir et blanc mais aussi sur les décors et leur architecture spécifique, tout en lui apportant une dimension morale, à la fois proche de ses souhaits mais aussi plus respectueuse du code Hayes alors en vigueur.

Mais La Rue rouge peut aussi être rapproché du film précédent du cinéaste germanique : La Femme au portrait. Les deux sont des films sur l'art où le protagoniste est hanté par un visage, une beauté inaccessible, qu'il peindra dans le premier et qu'il voit sur une toile dans le second. On retrouve aussi le même trio d'acteurs, tous excellents : Edward G. Robinson au visage très caractéristique, mi-flic mi-gangster, ici interprétant un peintre floué partagé entre deux sentiments, une honnêteté sans faille et un amour manipulatoire qui le perdra, Dan Duryea, l'archétype même du « bad boy » hollywoodien, et Joan Bennett, personnage central, muse inspiratrice dont la beauté est magnifiée par l'aveuglement du premier mais aussi victime consentante du second dont elle est éprise et pour qui elle va mentir et voler.

Le film de Fritz Lang est tourne effectivement autour du mensonge qui va vampiriser le film petit à petit ainsi que le comportement de chacun des personnages qu'ils mentent aux autres ou à eux-mêmes. Mais La Rue rouge est aussi un magnifique film sur l'art et la folie, sur le rêve et le cauchemar, sur l'impossibilité d'atteindre un idéal qui ne pourra jamais, après tout, que reposer sur une toile où il ne sera qu'une vision magnifiée d'une réalité à laquelle on ne veut pas croire. Ainsi la peinture rejoint le cinéma.