Critique : Eros plus massacre

Nicolas Thys | 2 avril 2008
Nicolas Thys | 2 avril 2008

Inspiré par la vie de Sakae Osugi, un anarchiste pionnier de l'amour libre, Eros + Massacre se situe à l'apogée des recherches plastiques menées par Yoshida depuis ses débuts en tant que réalisateur en 1960. Chantre de la nouvelle vague japonaise, Yoshida cherchait avant tout à se défaire des productions japonaises trop normées à son goût, trop centrées sur un récit souvent linéaire, simple et préférant le déferlement d'émotions à la réflexion. A travers cette histoire double d'une femme sexuellement libérée faisant des recherches sur Osugi, le cinéaste nippon réalise un véritable manifeste cinématographique.

 

Formellement Eros + Massacre est un film qui porte la marque de la peur : peur de faire un cinéma conventionnel, peur des corps que le cadre découpe sans cesse ou qu'il fait disparaître derrière une nature foisonnante ou des objets pourtant inutiles, mais aussi peur de la couleur puisque Yoshida tend, surtout dans la première moitié du film, à évacuer la moindre nuance grise pour abstraire ses plans au maximum, faire des hommes et objets de simples tâches parfois invisibles sur des surfaces monochromes. Peur de l'espace que le cinéaste élimine, vide de toute substance pour ne plus faire subsister au final que des surfaces planes et uniformes, et peur du temps qu'il déforme et bouleverse littéralement laissant le soin au spectateur de recréer sa propre unité du film, son propre désir de narration s'il le peut et le veut.

 

Cet espace-temps détraqué donnera lieu à d'étranges et inquiétants moments, à la fois fantomatiques et théâtraux, répétitifs mais uniques, où viendront se mêler, après « l'entracte » essentiellement, deux époques pourtant insolubles : l'époque de Sakae, fin des années 1910, et celle de la jeune fille, fin des années 1960. Deux Histoires se telescopent : le contemporain ne peut se détacher du passé et réciproquement.

 

Parfois un peu trop aride cette perte totale des repères décontenance mais fascine également et fait de ce film une véritable œuvre d'art, un hymne à un cinéma réflexif et intemporel, qui s'interroge sur une époque, son passé mais aussi son avenir.

Résumé

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