Critique : Un homme qui dort

Nicolas Thys | 16 décembre 2007
Nicolas Thys | 16 décembre 2007

Paradoxalement rares sont les films aussi éveillés que Un Homme qui dort : une caméra ultra mobile, un montage serré aux plans souvent courts, le tout surplombé par une voix douce et tendre pourtant terriblement dynamique et effrayante. S'il dort c'est que l'Homme, lui l'acteur ou nous le spectateur, est hypnotisé, enveloppé par un sentiment de douce catatonie, il se laisse submerger par une vie, un temps, un espace qui ne cessent de se manifester, de lui pourrir l'esprit sans qu'il ne veuille les voir. Il les laisse éclater, se disloquer autour de lui sans réagir, répétant inlassablement les mêmes gestes dans cette folie de l'homme ordinaire.

Car la folie n'est pas réservée qu'à autrui, elle n'est pas que ces délires démoniaques aussi spectaculaires qu'effroyable. Elle est en chacun de nous, elle somnole, attendant de surgir, brusquement. Le film ne reste éveillé que pour montrer, finalement, l'inquiétante étrangeté régnante dans un univers qui n'appartient à rien, à personne, un univers vide de sens où celui qui se met à penser perd pied sans retour possible.

Ecrit par Georges Perec, chantre du Nouveau Roman, auteur des intraduisibles La Disparition et Les Revenentes, le film est une expérience cinématographique bouleversante plus proche des Duras ou Robbe-Grillet que de la Nouvelle Vague. En voyant Un Homme qui dort, on se rend compte de l'incroyable modernité d'un film comme Le Roman d'un tricheur auquel il reprend la voix-off interminable et la négation du dialogue au profit d'une voix unique qui, assortie d'un discours à la deuxième personne, en devient hypnotisant. Tout est déconnecté, l'image l'est de la bande son comme l'homme du monde ou le positif de la pellicule de sa résonnance négative, et le récit simple de cet étudiant en fin de chemin, cerné dans une chambre par les perspectives impossibles d'Escher et les illusions démentes de Magritte, n'en est que plus renversant.

Un chef d'œuvre malade aussi beau que dément, avec trente ans d'avance et qui se doit d'être découvert et diffusé car une grande tendance du cinéma français actuel lui doit beaucoup et nul ne l'a encore rattrapé.

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