Critique : Chacun son cinéma
Ça n'est pas très rentable et ça n'intéresse pas grand monde ; pourtant, parce que ça donne l'air prestigieux, certains producteurs désoeuvrés continuent à financer des projets comme ce Chacun son cinéma, assemblage bancal de 33 courts-métrages autour de la salle de cinéma. Commandé par Gilles Jacob pour être projeté lors du festival de Cannes, le film ne brille pas par son goût du risque, la moyenne d'âge des metteurs en scène engagés dans le projet étant particulièrement élevée, aucun jeune réalisateur n'ayant été convié. Et s'il est toujours délicat de dégager une impression d'ensemble d'un tel film, il convient tout de même d'affirmer que Chacun son cinéma sent la paresse et la naphtaline, beaucoup de cinéastes se contentant d'un hommage poli et circonspect au lieu qui leur a pourtant permis de trouver leur vocation.
Aucun réalisateur ou presque n'a modifié son
style d'un iota, partant du principe qu'un tel projet ne mérite pas
qu'on lui consacre un effort surhumain. Signalons tout de même les
tentatives osées de Jane Campion (qui se plante malheureusement en se
prenant pour David Lynch) et David Cronenberg (qui livre le segment le
plus décalé et inconfortable, conformément à son habitude). Quant aux
autres, ils se content de faire ce qu'ils ont toujours fait, avec
cependant des fortunes diverses. Quatre cinéastes ont choisi de se
mettre en scène, pour autant de réussites. D'abord Nanni Moretti, qui
nous offre quelques tranches de vie dans la plus pure tradition de ses
journaux filmés ; ensuite Lars Von Trier, qui met en oeuvre le fantasme
de la majorité des cinéphiles dans le morceau le plus drôle du film ;
Cronenberg, donc, qui met en scène son suicide avec une délectation
sans pareil ; et Elia Suleiman, qui transporte sa gueule de Droopy sous
les lumières des projecteurs, renouant avec l'humour à froid d'Intervention divine.
Quelques
coups de coeur pour terminer : les malheurs d'une ouvreuse face à un
couple de baiseurs en salle par Andrei Konchalovsky, le drôle de
ressenti d'une aveugle (la décidément parfaite Luisa Williams) par
Alejandro Gonzalez Inarritu, et enfin (et surtout) le cinéma-sur-vélo
de Chen Kaige, qui offre en deux minutes plus d'émotion que dix Cinema paradiso. La beauté de ces quelques moments-là fait oublier les longueurs et les ratages de Chacun son cinéma, le genre de film qu'il vaut mieux voir en DVD pour bénéficier du chapitrage.
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