Critique : It's a free world !

Julien Foussereau | 29 août 2007
Julien Foussereau | 29 août 2007

Il est des Palmes d'or ressemblant davantage à un cadeau de retraite qu'à la véritable consécration d'une œuvre phare dans la compétition de la Mecque festivalière. Et, à bien y regarder de plus près, celle attribuée au Vent se lève en 2006 humait réellement ce parfum académique. Fallait-il y voir le début de la fin pour Ken le Rouge ? C'est bien mal connaître la carrière en balancier d'un cinéaste qui a toujours su revenir en force par le biais de son « sous-genre » de prédilection : la chronique sociale contemporaine britannique. It's a free world... remplit ses trois impératifs... et ne déroge pas à la règle.

Ken Loach délaisse la dénonciation policée bien-pensante pour retrouver ce qui faisait tout le sel de Sweet Sixteen, son dernier grand film : concentrer un problème de société autour de personnages à la fois hauts en couleur et rendus proches de nous grâce à son approche semi documentaire (ici, la place de la main d'œuvre journalière très bon marché d'Europe de l'Est dans la british workforce) Sauf que cette fois Ken Loach ne suit pas le chemin de croix d'un demandeur d'emploi polonais ou ukrainien mais choisit de dresser le portrait d'Angie, jolie trentenaire au caractère bien trempé et, accessoirement, fournisseuse de tâches ingrates aux nécessiteux de l'Union Européenne.

La différence peut paraître anodine. Elle est pourtant de taille dans la mesure où Angie nous est présentée sympathiquement au départ comme une victime : licenciée pour avoir refusée de s'être fait palper les cuisses par son boss éméché lors d'une récolte de travailleurs polonais on site, elle est frappée par la vision de la libre entreprise et monte sa boîte d'intérim avec l'aide de sa colocataire Rose. Bien sûr, ce n'est que du provisoire. Quand l'argent coulera à flots, son business repassera au dessus du radar de la légalité. Le spectateur, habitué par des décennies de films « Loachiens », s'attend à prendre sa leçon sociale avec un confort certain et il est aidé en cela par des marqueurs typiques : conversations décontractées dans un pub ou encore gouailleur de service avec un accent écossais à découper à la tronçonneuse.

Seulement, plus le film progresse, plus Angie laisse circonspect, à l'instar de son père, nostalgique d'une Angleterre qui se souciait davantage du bien-être de ses résidents les plus démunis que de la manne financière qu'ils pouvaient dégager de par leur ridicule coût. « It's a free world... » lui rétorque-t-elle, avançant que ces pauvres hères sont bien contents de trouver ces jobs illégaux et sous-payés. À ce moment là, It's a free world... bascule dans une dimension inattendu en délimitant les contours d'une personnalité de moins en moins aimable, prête à appeler l'Immigration pour faire place nette dans un camp de clandestins et ramasser, du coup, la mise sur un juteux contrat, sous l'œil médusé de sa collaboratrice.

La grande qualité de Loach réside dans sa capacité à laisser ses images parler d'elles-mêmes, sans sur signification aucune. Angie justifie ses actes les plus impardonnables au nom de son fils turbulent, élevé par ses grands-parents, au nom d'un futur radieux où elle s'en occupera pleinement grâce au pognon accumulé sur le dos de ces travailleurs venus d'ailleurs. Cependant, le veut-elle vraiment ? Il est permis d'en douter face à l'exposition de sa psyché dirigiste et instable, capable de tout (donner le gîte et le couvert à une famille de réfugiés iraniens) et son contraire (voir plus haut), faisant passer son confort (matériel et sexuel) avant toute chose.

À travers elle, Ken Loach brosse une métaphore de son pays tiraillé entre les vestiges de son Etat Providence et son abandon au libéralisme thatchérien le plus implacable. Et, à en juger par sa conclusion déprimante, cet écartèlement moral a encore de beaux jours devant lui.

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