Critique : Lumière silencieuse

Sandy Gillet | 29 mai 2007
Sandy Gillet | 29 mai 2007

Sans vouloir faire de l'esprit ou un jeu de mot facile, on peut tout de même se demander si Carlos Reygadas n'est pas un illuminé ou plus simplement un homme qui enfant se serait brûlé les yeux à trop vouloir fixer le soleil. Cela aurait en tout cas le mérite d'expliquer Lumière silencieuse, son dernier film de 142 minutes où ne figurent à tout casser pas plus de 300 plans, soit quand même une moyenne d'un plan toutes les trois minutes... Comme si le cinéaste mexicain voulait à jamais marquer nos rétines et nous conter de force son histoire qui se déroule dans la communauté néobatave des mennonites qui vit depuis 1922 au Mexique (pour ceux que la chose intrigue voici un petit lien explicatif bien utile).

Les mennonites parlent le plautdietsch, une langue héritée du bas-allemand avec des influences néerlandaises et flamandes, et de fait Lumière silencieuse (Stellet Licht en VO) est le premier film mexicain tourné dans cette langue (et peut-être aussi dans le monde mais on n'a pas vérifié). Pour résumer, le troisième opus de Carlos Reygadas à qui l'on doit le déjà très contemplatif Japon et le faussement sulfureux Bataille dans le ciel, est tout sauf une œuvre accessible et tournée vers la déconne. Dès le premier plan-séquence travelling avant de dix minutes (une aube naissante en pleine brousse mexicaine avec bruissements d'insectes de la nuit à peine terminée et beuglements de vaches à plein poumon - mais vous allez la traire bon dieu ?), le ton est donné et autant le dire, Reygadas ne desserrera pas un seul instant son étreinte.

Trente minutes plus tard on est déjà en sueur tant la beauté plastique est fulgurante mais exigeante. Une heure après on est à l'agonie et le cinéaste qui a comme nous du mal à se situer dans la narration de son film (un bon père de famille mennonite - on ne rigole pas - trompe sa femme avec « entrain » et s'en veut) fait joujou avec le mixage sonore de son film, nous assène Les Bonbons de Brel depuis le fond d'un camping-car via un vieux poste de télé noir et blanc et nous embarque à l'intérieur d'une moissonneuse-batteuse - point de vue fixe du conducteur - où autant le dire, on n'est pas dans une formule 1. Arrive (enfin) le plan final qui n'est autre que celui du début mais à l'envers. La boucle est bouclée et le spectateur assommé sort de la salle en titubant conscient qu'il vient d'assister à quelque chose de vraiment pas humain.

Une fois remis (une bonne semaine au moins, la preuve ce papier n'est écrit que bien après sa projection cannoise) on pourra se demander tout de même si le Reygadas il ne se regarde pas un peu trop filmer, au point que son Lumière silencieuse ferait juste office de miroir d'une existence apparemment vide de sens et d'illusions. En cela le film est réussit, mais il fait aussi froid dans le dos.

Considération dont a fait fi le jury du 60ème festival de Cannes qui lui a attribué son prix du même nom. Comme quoi il y en a qui ne sont pas rancuniers !

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