La Nuit nous appartient : critique de nuit

Léo Vrinks | 10 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Léo Vrinks | 10 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Le réalisateur de The Yards rejoue le conflit familial et les sombres liens de sang dans La Nuit nous appartient, porté par Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Eva Mendes et Robert Duvall.

(RE)PÈRES

La Nuit nous appartient. Un titre magnifique, pour un film qui ne l'est pas moins. Cette maxime de la police new-yorkaise des années 80 sous-entend un romantisme de polar que James Gray n'a cessé de balayer au fil de son œuvre. Sa mise en scène ne connaît aucune facilité, aucune concession au spectacle. Même lorsqu'il s'agit d'en passer par les fusillades (dans la pénombre) ou les poursuites en voitures (perdues dans l'éther). Son écriture complexe est fixée sur les règles du genre, mais s'en échappe méthodiquement. Chez n'importe qui d'autre, ce systématisme dans l'imprévisible serait voyant et exaspérant, mais James Gray le transforme en ascèse, en une exigence presque douloureuse tant ses films sont des marches funèbres.

On cherche l'inévitable défaut, le plan de trop, la réplique maladroite, la ficelle grossière, rien ici ne peut déclencher le cynisme critique. Pour autant le film n'est jamais trop beau, ni trop appliqué. Son humilité déchirante et ses murmures (qui étaient déjà la force de The Yards) sont tous évidents. L'histoire refuse la litanie des polars, se détourne du glamour du monde de la nuit et ne fait pas pour autant des policiers des héros.

 

Photo mark Wahlberg, Robert DuvallMark Wahlberg et Robert Duvall

 

Une troisième voie, que l'on jurerait inexplorée, est ouverte par James Gray. La surprise est là, dans cet apprentissage bouleversant. Pour Joaquin Phoenix, le parcours est inattendu, avec des pertes et des retrouvailles, aussi chargées de sens que contées avec finesse. Le réalisateur (re)découvre la fragilité chez un monstre sacré tel que Robert Duvall, l'une des multiples figures paternelles qu'il faudra apprendre à aimer ou à tuer au fil de cette Nuit. Et même le bloc physique qu'est Mark Wahlberg devient soudain quasi cristallin.

Audacieux et immense jusqu'à l'ivresse, James Gray débute son film sur du Blondie en filmant le corps d'Eva Mendes, pour mieux l'achever par un échange digne et poignant entre deux hommes que tout a opposé. Un grand écart entre deux scènes antinomiques, et pourtant tout aussi belles, qui souligne à lui seul la richesse de ce pur miracle.

Jean-Nöel Nicolau : 5/5

 

Photo Joaquin Phoenix, Eva MendesJoaquin Phoenix et Mark Wahlberg

 

CROISER LE F(R)ER

James Gray fait partie de ces cinéastes qui n'ont que faire de cette tendance qui veut qu'une fois avoir accompli son chef-d'œuvre il faille obligatoirement aller chercher ailleurs son inspiration au risque de la redite forcément sclérosante. Et reconnaissons donc à l'homme originaire du Queens son obstination méthodique pour toujours revenir dans les mêmes sillons creusés depuis Little Odessa, approfondissant à l'envie des thèmes désormais connus de tous et qui derrière sa caméra prennent à chaque fois une dimension encore plus noire et tragique.

La Nuit nous appartient tire son titre de la devise de l'unité criminelle de la police de New-York qui, à la fin des années 80, fut confrontée à la plus sauvage des guerres de drogue occasionnant dans ses rangs une moyenne de deux morts par mois. Ce « background » historique et géographique va permettre à Gray de développer une histoire dont le canevas et les ressorts dramatiques rappellent furieusement ceux du Parrain. Où comment un frère qui avait décidé de voler de ses propres ailes est finalement rattrapé par son destin aux forts relents familiaux.

 

Eva Mendes

 

Un scénario cousu de film blanc donc, mais mis au service de trois acteurs dont la prestation bien que légèrement en retrait pour Mark Wahlberg est au diapason. Joaquin Phoenix diffuse d'abord sur son visage les stigmates de ce qui l'attend pour ensuite porter tout entier sur ses épaules une fin au climax certes chargé mais en adéquation totale avec tout le reste du métrage. Robert Duvall en patriarche et commandant de police est comme toujours parfait et apporte ce plus de dignité et de sobriété propre à faire basculer un film vers les sommets.

Entouré de tels talents, James Gray peut s'en donner à cœur joie et surcharger son film de pathos et de références qui dans les mains d'un autre auraient causé à coup sur l'indigestion. Là on s'arrime comme on peut à l'action qui se démène inexorablement sous nos yeux avec de temps à autres des moments d'anthologies comme cette poursuite de bagnoles sous une pluie diluvienne qui sent bon l'hommage au Police Fédéral Los Angeles du sieur William Friedkin.

 

Joaquin Phoenix

 

Que James Gray continue à filmer ainsi son Queens natal entre nostalgie référentielle d'une époque révolue mais barbare et projection vers un futur encore plus dur et âpre, qu'il y jette en pâture des histoires où soufflent derrière chaque ligne et personnage la figure du père façon tragédie grecque et nous serons toujours là pour applaudir des deux mains et dire encore...

 

Affiche officielle

Résumé

Magistral.

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commentaires
TOD
12/11/2018 à 13:01

Mon Grey et mon Phoenix préféré. Un chef d'œuvre, un coup de foudre immédiat. Perso of course ;-)

Matt
11/11/2018 à 01:17

@ Mx
Nerveux pour Little Odessa, Yes ! : tout est dans l'instant, se raccrocher à quelque chose et s'échapper le plus vite possible. Une oeuvre brut et sans concession. Un 1er film aussi.

Et pis, je préfère le de loin la résolution glaciale de The Yards à la fin quelque peu moralisatrice de WE own The night.

Tout n'est qu'affaire de goût en même temps.

Constantine
10/11/2018 à 22:28

The Yards , We own the night et Two Lovers sont des chefs d’œuvres , point ! ????

Mx
10/11/2018 à 19:25

Pas d'accord du tout, je trouve the yards glacial et désincarné, tout ce que n'est pas la nuit nous appartient!

Son meilleur film avec little odessa, qui n'est pas nerveux, les deux films sont des tragédies!

Matt
10/11/2018 à 19:19

Un must et pourtant l'un des "moins bons" films de James Gray pour moi. Moins intense que The Yards, moins nerveux que Little Odessa et moins romantique que sera Two Lovers.

Par contre la mise en scène est au beau fixe : les séquences de l'atelier de drogue (incroyablement documentée et brutale) et de fin dans les hautes herbes pleine de flammes et de fureur sont de pures bijoux. James Gray, James bien en fait.

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