Critique : Histoires autour de la folie

En 1972, Michel Foucault fait publier l'une des œuvres phares de sa pensée et de la philosophie contemporaine : L'Histoire de la folie à l'âge classique. Cet ouvrage propose une réflexion sur la représentation de la folie et sur les conditions d'internement et de prise en charge de la maladie par les personnes « saines d'esprit » du Moyen-âge au 19eme siècle, jusqu'à la naissance des asiles. C'est à ce moment précis que débute le film de Paule Muxel et Bertrand de Solliers : Histoires autour de la folie réalisé en 1993 qui se concentre sur un lieu particulièrement représentatif : l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard situé en région parisienne et aujourd'hui fermé. Est-ce un prolongement ? Oui et non. Non puisque sans avoir lu l'ouvrage le film ne perd rien de son intérêt et qu'il se concentre sur des éléments intimes, personnels plus que sur une histoire générale. Et oui car il permet de mettre en valeur certains points appuyés par le livre et de reconstituer la genèse de la psychiatrie occidentale, là où s'était arrêté Foucault, à l'aide de témoignages ou de multiples documents que nous donnent à voir les deux réalisateurs.

Le film étudie plus particulièrement les changements apparus après la seconde guerre mondiale et fait se succéder témoins divers et variés : anciens patients, anciennes infirmières, etc. Et en même temps on voit des photos très anciennes, des plans de construction du lieu, des images plus récentes de l'hôpital, de ce qu'il en reste. Tout est toujours en mouvement et à la fois propice à la réflexion et à la contemplation. La qualité du son peut sembler parfois moyenne : on comprend difficilement certaines interviews à cause des accents notamment, mais ce n'est pas le plus important car pendant ces instants l'image suffit à elle-même. Elle hypnotiserait presque par ces lieux étrangement vides, où rôdent les spectres de la mort et de la folie qui ne sont jamais loin. Les images sont rarement fixes : tout est toujours plus ou moins mobile, quelques variations, quelques soubresauts, des photos analysées en détail par la caméra. Tout pour fixer le regard et l'oreille et ne pas sortir d'un voyage qui laisse forcément des traces profondes et qui n'ennuie jamais.
Les témoins clés sont quant à eux montrés frontalement, racontant leur histoire sans honte et telle qu'il la perçoive avec le recul et une remise en contexte nécessaire de la situation d'avant et d'après guerre, le moment clé où tout va changer et où la perception de la folie va être considérablement chamboulée. Les conflits belliqueux et sociaux sont au centre du film et replongent, intimement et directement, le spectateur dans une dimension méconnue du traitement de personnes souvent mises à l'écart et dont on ne veut pas forcément entendre parler. Ni simplement construits autour témoignages ou d'images d'archives commentées, Histoires autour de la folie se situe dans un entre deux captivant, fascinant et complètement maîtrisé.