Critique : Belle toujours

Jean-Noël Nicolau | 5 avril 2007
Jean-Noël Nicolau | 5 avril 2007

En signant une coda au Belle de jour de Luis Buñuel, Manoel de Oliveira (98 ans au moment du tournage) réalise un pur fantasme de cinéma qui parvient à éviter tous les pièges d'une démarche aussi prétentieuse. En un tout petit plus d'une heure, le metteur en scène portugais cisèle un post-scriptum doucement cynique et d'une cruauté enjouée. Les deux héros du film de Buñuel ont tant vieilli que leurs archétypes se sont effondrés sur eux-mêmes. Il ne reste plus que le radotage alcoolisé de Michel Piccoli (formidable) et la vindicte coupable de Bulle Ogier (qui remplace Deneuve). Les excès sadomasochistes de Belle de jour ne sont que des ombres, des gimmicks (la boîte qui bourdonne, un coq de la période mexicaine...) et surtout des dialogues un peu creux, un peu faux, récités dans un bar improbable ou dans un restaurant au luxe comique. Belle toujours tutoie le sublime dans ses moments de silence ou lorsque les images supplantent la parole.

 

Durant la majeure partie du film, Piccoli erre dans Paris, un souvenir le hante, s'accroche à son existence devenue fantomatique. Le plaisir de faire une nouvelle fois souffrir la femme qui l'obsédait, c'est un dernier acte de perversion raffinée. La scène du dîner est comme accélérée au-delà du réalisme, pour mieux s'effacer dans la pénombre des bougies qui meurent. Ce crépuscule des êtres, quand la fiction atteint son point limite et que le « chef-d'œuvre » ne peut plus être complété, flirte avec le génie. Oliveira, humblement, avec humour, préfère disparaître à son tour et renonce à se proclamer l'égal de Buñuel. Cette modestie dans l'apothéose est la plus grande réussite de Belle toujours, qui s'affirme comme une rêverie sur pellicule, du genre qu'affectionnait tant le réalisateur de Viridiana.

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