Critique : L'Homme sans frontière

Nicolas Thys | 4 mars 2007
Nicolas Thys | 4 mars 2007

L'Homme sans Frontière est il encore réellement un western ? De grands espaces certes mais pas de duel : une tuerie ; pas de cow-boy solitaire agissant en héros mais en lieu et place deux individus errants qui ne pensent qu'à retrouver une vie simple avec femme et enfant là où dans le western classique c'était presque impossible ; une femme qui n'est pas cantonnée dans un rôle d'institutrice ou de prostituée mais qui se féminise, refuse de se soumettre, affirme ses besoins, son indépendance et clame son opinion à qui veut l'entendre : aujourd'hui rare encore sont les films hollywoodiens où une femme tient un rôle si fort, dénué des stéréotypes quotidiens de la femme au foyer bien sous tout rapport ou/et icône de mode. Verna Bloom, qui interprète le rôle et qu'on a pu voir par la suite dans After Hours de Martin Scorsese, est stupéfiante.


En outre, à travers maintes interrogations métaphysiques assez inhabituelles pour le genre mais qui confèrent au film une résonance particulière, un thème se dessine, celui du retour chez soit après un périple long et fatiguant, thème en général éloigné du western, lieu même de la conquête des espaces, d'évasion vers l'ouest, de chevauchées héroïques et du désir, pour un pays qui se construit, de s'inventer ses propres héros. Cette question du retour hante la littérature de la tragédie grecque à nos jours mais Fonda se moque du voyage en lui-même et ne s'intéresse qu'à son aboutissement : l'épopée des deux héros a déjà eu lieu, dans un temps révolu, qui n'existe plus. Et si toute cette époque était simplement terminée ? Si le cinéma était lui aussi passé à autre chose ?


Premier film de Peter Fonda, réalisé deux ans après Easy Rider qui l'a sacré star des seventies à travers de folles embardées dans l'Amérique rurale, l'Homme sans frontière se situe dans la continuité des westerns tournés par Fonda père, Henry. On se souvient de lui dans Mon Nom est Personne, dernier représentant d'une race de cow-boy dont la civilisation et la révolution industrielle ne sait plus que faire ou dans tant d'autres westerns spaghettis qui figurent la fin du genre. Peter Fonda prend le relais mais derrière et devant la caméra cette fois et s'entoure de Warren Oates, antihéros de La Horde Sauvage de Peckinpah, le plus beau des westerns crépusculaires, et acteur fétiche d'Hellman dont L'ouragan de la vengeance est très proche par certains aspects de L'Homme sans frontière. Le western fait un pas de plus vers son cercueil, une fin proche et inexorable après des décennies de chef d'œuvres et dont il ne se relèvera pas, sursautera tout au plus de temps à autre. Les héros s'assagissent, mûrissent et leur orgueil ou leur loyauté les conduisent à leur perte et ne suffisent pas à leur survie : les derniers hommes de l'ouest s'en vont peu à peu et ne sont plus remplacés, les rêves de grandeur s'envolent et les humains ne ressemblent plus qu'aux humains.


Chance du débutant ou réelle inspiration ? Fonda signe là et de très loin son plus beau film, entouré d'une équipe incroyable dont la plupart des membres ont été trouvés par hasard et lui ont permis de mener à bien un film dont l'histoire d'origine ne casse pas des briques puisqu'il ne s'y passe tout bonnement rien : trois hommes, un meurt, les deux se vengent et décident de tout arrêter jusqu'au final obligatoire mais dont les codes sont une fois encore détournés. Film sur le vide, la vieillesse et la lenteur, impossible pourtant de s'ennuyer et de se détacher des images euphorisantes de Vilmos Zsigmond associées à un montage ingénieux fait de multiples surimpressions et de ralentis du plus bel effet et à une musique simple mais enivrante et mélancolique. Plus proche de l'état d'esprit d'un Terrence Malik ou d'Une histoire vraie de David Lynch que de tout autre cinéaste, Fonda fait mouche et nous projette dans des paysages immaculés, verdoyants et où l'eau coule à flot d'une poésie atypique au milieu desquels trônent le désert et la mort, une ville fantôme qui fait office de purgatoire, un passé qui ne peut s'oublier et ressurgit là où on ne l'attend pas. Deux espaces, un éden et un enfer, si différent et si proche l'un de l'autre.


L'Homme sans frontière est un western tragique, qui pleure sa grande période et fait de ses protagonistes des héros qui à force de ne plus avoir de but, ne savent pas quoi faire et n'ont d'autres choix que de se retrouver et de retrouver leur racine. Le dessein de tout voyage est son retour un jour ou l'autre, les embûches sont toujours présentes mais ne sont plus les mêmes : à l'heure du retour tout a changé et il faut s'y faire, ne plus espérer, juste essayer de survivre et de reconquérir ce qu'on avait laissé de côté trop longtemps pour le retrouver intact. Le contact est difficile mais possible, les fondus parlent pour les personnages décrivant magnifiquement leur fort intérieur. Les gestes sont bancals, banals mais chacun d'eux acquiert une valeur immense sous le regard du cinéaste : une femme face à un miroir, un homme dans une baignoire, une main qui touche une cheville. Chaque paysage devient une ode au travail, à la simplicité de la nature et à l'oubli de soi-même dans une vie rêvée. Et le genre renverse ses figures : désormais sagesse et instinct sont dissociés et entre les deux seules la sagesse ressortira vainqueur. Dommage ?

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