Critique : Le Faucon maltais

Erwan Desbois | 26 décembre 2006
Erwan Desbois | 26 décembre 2006

« Parlons de l'oiseau noir ». Pendant plus d'une heure, Sam Spade / Humphrey Bogart répète jusqu'à plus soif cette rengaine aux malfrats qui s'écharpent devant ses yeux pour mettre la main sur le mystérieux Faucon Maltais, statuette mythique que l'on dit être en or massif et incrustée de pierres précieuses. L'ambition de Spade est plus pragmatique : démêler les nœuds de cette sombre affaire pour comprendre qui de Brigid (Mary Astor), Cairo (Peter Lorre) ou du Bouffi (Sydney Greenstreet) a tué son coéquipier en tentant de lui faire porter le chapeau. Et, au passage, récupérer quelques centaines dollars sur le dos de ceux qui cherchent tour à tour à l'embaucher et à le piéger.


Sam Spade n'a donc rien d'un héros – il n'a même pas le niveau pour être un personnage appréciable. Il couche avec la femme de son associé, exploite sa secrétaire, arnaque ses clients, et tout ça avec le sourire carnassier et le regard froidement assuré de Bogart. Sans que cela ne justifie d'aucune façon ses actes, il faut bien admettre que Spade fraie avec des individus encore pires que lui. Menteurs, assassins, obsédés par l'appât du gain, rien de positif n'émane d'eux. Par sa mise en scène à forte teneur en ironie (depuis le choix des acteurs jusqu'aux cadrages), Huston fait nôtre le regard grinçant de Spade sur cette faune plus bouffonne qu'inquiétante.


Est-ce parce qu'il s'agissait là de leur premier film en tant que réalisateur et rôle principal ? Toujours est-il que cette mise en scène décalée et cette composition antipathique ne sont que des éléments parmi d'autres de l'entreprise de démolition des codes menée par Huston et Bogart. Les deux hommes ruent dans les brancards et prennent un malin plaisir à rendre l'intrigue incompréhensible à grands coups de rebondissements en pagaille, de dialogues débités en rafale et de nouveaux personnages débarquant toutes les dix minutes avec leurs contradictions et leurs zones d'ombre.


Le retournement opéré dans le dernier quart d'heure, où le ton devient sérieux et dramatique à l'heure de rendre des comptes, est d'autant plus fort et remarquable. En dévoilant leurs failles et leurs espoirs déçus, les protagonistes (Spade en tête) font glisser le récit vers une mélancolie poignante. Ils annoncent ainsi le thème qui courra tout au long de l'œuvre du réalisateur, du Trésor de la Sierra Madre aux Gens de Dublin.

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