Critique : On ne vit que deux fois

Patrick Antona | 31 octobre 2006
Patrick Antona | 31 octobre 2006

Avec On ne vit que deux Fois en 1967, la saga des James Bond accentue encore le virage comic-book entamé par Opération Tonnerre deux ans plus tôt, l'agent préféré de sa Majesté devenant un véritable super-héros invincible et sophistiqué au possible, mais toujours sensible au charme féminin et au goût particulier pour la violence. Les intrigues d'espionnage classique laissent place à des péripéties d'aventure plus épiques, saupoudrées d'un zeste de SF alors en plein vogue, qui n'évitent pas l'utilisation d'effets spéciaux à profusion et des affrontements encore plus titanesques.


Succès international oblige, un James Bond se doit d'être plus exotique que jamais, l'action prenant place cette fois ci au Japon, où le spectateur pourra découvrir les coutumes (et beautés) locales et voir en action les fameux « ninjas », alors encore inconnus du public occidental. Se basant de manière plutôt lointaine sur le roman de Ian Fleming, le scénariste Roald Dhal illustre la course à l'espace que se livre les USA et l'URSS dans les années 60 en y ajoutant le SPECTRE comme intrus essayant de pousser à la 3° Guerre Mondiale. Dans On ne vit que Deux Fois, titre tiré d'un haïku mis en préface du roman de Ian Fleming, nous avons droit pour la première fois à une représentation de Ernst Stravo Blofeld, l'infâme nemesis de James Bond, qui, caché dans sa base japonaise, s'empare de capsules spatiales russes et américaines, et jette en pâture aux piranhas ces employés trop peu zélés.


Personnifiée par Donald Pleasance, qui il est vrai ne force pas trop son immense talent (voir en comparaison Cul-de-sac ou L'Impasse aux Violences), son visage balafré, son air affecté et cette main caressant un chat persan seront les éléments qui resteront le plus en mémoire, fournissant la matière au Dr. Evil des parodiques Austin Powers (dont l'action débute en 1967). Au niveau intrigue, le 5° James Bond aligne de manière classique les séquences de chausse-trappes, les escapades touristiques (avec combat de sumo et dégustation de saké), les scènes de suspens dans l'espace et n'oublie pas la femme-fatale de service, ici l'allemande Karin Dor (alors épouse du réalisateur Harald Reinl) dans les habits de la vénéneuse Helga Brent avant le final apocalyptique qui verra la prise du repaire volcanique de Blofeld.


Si les romans de Ian Fleming distillaient une forme de racisme discret, les promoteurs de la série au cinéma évacuent cet aspect et n'hésite pas à offrir aux acteurs japonais de seconds rôles assez étoffés. Tetsura Tamba (qui est décédé il y a peu), grande star asiatique, devient Tiger Tanaka, homologue des services secrets japonais tandis que les starlettes locales, Akiko Wakabayashi et Mi Hama, vues dans King Kong contre Godzilla et Le Défi des géants, ont le privilège de devenir les premières James Bond girls non occidentales, et acessoirement fausses-épouses de l'agent secret britannique infiltré, ce dernier découvrant le bonheur d'être un homme comblé au Pays du Soleil Levant.


Mais plus que Sean Connery et les ravissantes nipponnes qui l'accompagnent, les véritables stars du film sont les imposants décors de Ken Adam, qui réussit à allier le nec-plus-ultra avec le respect de l'architecture locale, et dont le summum réside dans la base de de lancement du SPECTRE avec son pas de tir, son héliport et son monorail. A nouveau, les gadgets sont de rigueur et le gyrocoptère Nellie succède à l'Aston Martin DB5 de Goldfinger comme monture de combat, dans une des séquences les plus réputées du film. Toute cette sophistication qui donne un caractère grandiose et épique à On ne Vit que Deux Fois va grandement influencer la série, rehaussée ici par la somptueuse partition de John Barry alors à son zenith, et des épisodes à venir comme L'Espion qui m'aimait et Moonraker ne seront grosso-modo que des remakes du James Bond de 1967.


Au beau milieu de cette réussite artistique et technique, ainsi que financière avec des recettes encore plus élevées que celles d' Opération Tonnerre, la seule relative déception vient peut être de Sean Connery lui-même. Les bonus reviennent souvent sur la lassitude que ressentait l'acteur envers le rôle et le besoin de s'en échapper, et même si sa prestation est ici plus qu'honorable, son style félin et ironique faisant encore mouche, le réalisateur Lewis Gilbert s'en sert plus comme élément de complément de tout le décorum ambiant. Ayant compris cette évolution, l'acteur tirera sa révérance et ne sera pas de l'aventure de Au Service secret de sa Majesté en 1969, avant de se raviser pour Les Diamants sont Eternels en 1971, l'insuccès de ces non-James Bond Movies l'ayant ramené à de plus simples ambitions.

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