Critique : The Blade

Flavien Bellevue | 23 mai 2006
Flavien Bellevue | 23 mai 2006

1995. Alors que le cinéma d'art martiaux hongkongais connaît un sursaut depuis le début des années 90 avec des films tels qu'Il était une fois en chine, La Secte du lotus blanc, tous deux signés Tsui Hark, ou encore Swordsman 2 de Ching Siu Tung et Stanley Tong, le genre arrive vite à son apogée et sonne déjà le glas tant les productions abondent et se ressemblent. Rien n'avait donc préparé le public à un changement radical avec l'arrivée de The Blade, véritable joute visuelle sanglante signée par le réalisateur qui avait relancé le wu xia pian (films de sabres), Tsui Hark.


Hommage vibrant au film de Chang Cheh, Un seul bras les tua tous (1967), The Blade récupère le mythe du sabreur manchot pour mieux se l'approprier à travers le personnage de Ding On, jeune ouvrier orphelin, en quête de vengeance. Si The Blade renouvelle le film d'action, c'est d'une part, par son histoire dont le point de vue principale est celui d'une jeune femme et, d'autre part, par la véracité de ses combats effrénés. Fille d'un chef d'une fabrique de sabre, l'insouciante Siu Ling tombe amoureuse de deux employés de son père, Ding On et Tête d'acier. Ne pouvant se décider, elle prévoit alors que les deux hommes s'affrontent et que celui qui survivra, sera le sien. Bien évidemment, tout ne se passe pas comme prévu puisque les deux hommes ont leur cœur partagé pour une autre femme, prostituée, rencontrée, en ville, lors d'une mission. Avec ce second personnage féminin, l'enjeu change et retombe dans les conventions scénaristiques classiques mais pour très peu de temps. Au détour d'une conversation, Ding On apprend que son père a été assassiné et décide donc de le venger coûte que coûte, au point d'en perdre un bras lors d'un combat.


C'est donc à ce moment que le film prend sa véritable forme. Que ce soit Ding On à la recherche de l'homme responsable de la mort de son père, Tête d'acier tombant amoureux d'une prostituée et qui jure ne pas être comme tous les autres hommes ou Siu Ling recherchant Ding On car il semble être l'élu de son coeur, l'enjeu principal des personnages devient une quête d'identité. Pour y parvenir, une majorité d'entre eux va devoir passer par le combat à l'épée, en particulier Ding On qui possède la lame (The Blade) qu'il apprendra à maîtriser pour qu'elle devienne une extension de son bras manquant et, de ce fait, une partie de lui. Tout au long du film, les lames ou les objets tranchants portent les notions de blessure (avec les pièges à loups), de justice (grâce à sa lame, Ding On fait reculer la terreur dans un village où il se réfugie) et de mort (principale fonction des lames dans le film). Mais les lames sont d'autant plus redoutables si elles sont rapides et instables ; elles tourbillonnent pour mieux pénétrer la chair et font gicler le sang pour mieux faire prendre conscience à l'homme sa condition. De ce flot visuel écarlate de combats, la caméra de Tsui Hark capte, au final, les déchirements internes de ses personnages principaux, Ding On et Tête d'acier, partagés pour une seule et même femme.


Pour donner un nouveau sens à ces multiples combats, Tsui Hark se dirige vers l'authenticité. Alors que le public est de plus en plus friand des combats « câblés », le réalisateur hongkongais capte ses combats sur le vif tel un documentaire et laisse le naturel des situations diriger notre regard lors de scènes plus calmes. Ceci ne l'empêche pas, par moments, de styliser sa mise en scène à travers quelques séquences comme le mémorable flash-back sous une pluie battante de l'enfance de Ding On et de renouveler les angles de prises de vue lors des scènes de combats. De ce fait, The blade se démarque face à une œuvre similaire, contemporaine, Les Cendres du temps (1994), signée d'un autre maître du cinéma chinois, Wong Kar Waï, et qui s'avère être son antithèse tant les personnages étaient esthétisés au maximum pour masquer la légèreté de son scénario et aseptiser la violence des combats.


Si The Blade n'a pas su trouver son public au moment de sa sortie à Hong-Kong, l'œuvre de Tsui Hark a su le trouver avec le temps. Considéré aujourd'hui comme étant l'un de ses meilleurs films, The Blade est un film d'action qui mêle à merveille des thèmes aussi divers et variés que la filiation, l'homme et la femme, le tout pour mieux révéler l'essence même de ses personnages, dans le chaos le plus total. Il brasse également tout un pan du cinéma d'action (films de sabres, chambara (clin d'œil évident à Baby Cart) et western (pour les duels et le personnage de Ding On qui rappelle Bill Meceita dans La mort était au rendez vous (1968) de Giulio Petroni dont les parents furent tués sous ses yeux par un homme tatoué) pour mieux s'en servir et lui rendre hommage. L'énergie visuelle de The Blade se retrouvera, par la suite, dans la filmographie du réalisateur avec le long-métrage qui marqua son retour (après deux films discutables avec J-C Van Damme) en 2000, Time and tide.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(4.8)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire