Critique : Au revoir les enfants

Erwan Desbois | 2 mai 2006
Erwan Desbois | 2 mai 2006

Les films des réalisateurs et leur vie personnelle se recoupent parfois plus que de coutume. C'est le cas pour Au revoir les enfants, réalisé par Louis Malle en 1987, soit dans la dernière partie de sa carrière et quarante-trois ans après l'événement traumatisant dont il a été le témoin lors de son enfance : la rafle par la Gestapo de trois enfants juifs et du prêtre qui les cachait dans le collège où il était pensionnaire.


Les quarante années d'expériences accumulées par Louis Malle avant de revenir et de s'attaquer à ce qui ressemble fort drame sont ce qui font de Au revoir les enfants un grand film. À l'image de ce que Roman Polanski a lui aussi fait quinze ans plus tard dans Le Pianiste, Malle enrichit son argument de base pour en tirer une véritable œuvre de cinéma, complexe et poignante. Loin de figer ses souvenirs dans une nostalgie aride et purement illustrative, il n'hésite pas à déformer la réalité des faits à des fins dramatiques ou thématiques. Les choix de citations artistiques (les livres lus par les enfants – Les trois mousquetaires, Les mille et une nuits – et les questionnements qu'ils font naître en eux) et de situations de scénario (en particulier les rencontres avec les allemands, qui révèlent la vraie nature des adultes) servent ainsi à constituer une passionnante mosaïque représentative des caractères et attitudes qu'ont pu avoir les français sous l'Occupation.


Le tour de force accompli par Louis Malle est d'avoir intégré tout cela à son récit sans pour autant en perdre sa raison d'être à savoir le regard d'un enfant sur ce monde complexe et arbitraire, où tous ne sont pas égaux devant les mauvaises conditions de vie – les prolétaires moins que les bourgeois, et les juifs encore moins que tous les autres. Le réalisateur relève le défi haut la main, en s'attardant principalement sur la vie de son héros Julien – les différents cours, la vie au réfectoire, les relations avec sa famille… – et en ne faisant intervenir la guerre et l'antisémitisme qu'en marge de ce récit. La transposition des souvenirs d'enfance s'est aussi opérée au niveau visuel, Malle ayant insisté auprès de son chef opérateur Renato Berta pour faire d'Au revoir les enfants un film « en couleurs mais sans couleurs », dans lequel les seules teintes qui semblent sortir de la grisaille en temps de guerre sont le bleu foncé et le marron.


Julien est de manière assez claire un double du réalisateur, et une version adolescente du personnage autobiographique que ce dernier fera interpréter à Maurice Ronet dans Ascenseur pour l'échafaud et surtout Le feu follet : élève brillant, cultivé mais obsédé par la mort et étrangement détaché du monde. Cependant, comme s'il voulait modifier a posteriori le cours des évènements, Malle fait de Julien quelqu'un de plus curieux qu'il ne le fut lui-même, et qui va ainsi découvrir sans entièrement les comprendre les raisons du drame – la judéité des uns et l'antisémitisme des autres. Le dénouement abrupt de ce drame au cours des toutes dernières minutes du film nous laisse dans le même état que Julien : pantois, impuissant, et effaré devant l'horreur qui peut jaillir n'importe où, n'importe quand.

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