Critique : Baby cart - Le loup à l'Enfant [Coffret]

Patrick Antona | 1 décembre 2005
Patrick Antona | 1 décembre 2005

Nous sommes au Japon au début des années 70. Le chambara ou film de samouraï est en perte de vitesse, les films de gangster ou les films sur les teenagers violents ont la préférence du public, les auteurs qui en étaient les piliers (Hideo Gosha, Masaki Kobayashi) se sont détournés du genre. Seule série à encore produire des films de qualité, le cycle de Zatoichi continue à rencontrer les faveurs du public, tenu de mains de maître par son acteur/producteur Shintaro Katsu. Et ce n'est sûrement pas un hasard si c'est par la société de production de ce dernier (la Katsu Production) que sera initiée la série des Baby Cart, avec dans le rôle principal, Tomisaburo Wakayama, frère de Shintaro Katsu, et comme réalisateur principal, Kenji Misumi, le créateur de Zatoichi.


Série emblématique et devenu culte, la saga Baby Cart (Kozure Ogami en japonais – le loup à l'enfant) se parera de six épisodes qui resteront comme les derniers feux d'un genre qui ne brillera plus que par intermittences. Adaptée d'un manga à succès de Kazuo Koike, créateur de Crying Freeman entre autre, l'odyssée désespérée et sanglante de Itto Ogami, bourreau déchu du shogun, accompagné de son fils Daigoro qu'il pousse dans un chariot , rencontrera un accueil triomphal au Japon et gagnera une réputation culte aux USA. En France, sa reconnaissance sera tardive (comme d'habitude…), seule une édition vidéo recyclant la version US, en fait un remontage des deux premiers volets et titré Shogun Assassin permettra de faire connaître le personnage. Heureusement sortie de l'ombre grâce à sa renommée internationale, voici dans une version remastérisée et pour une deuxième fois en l'espace de deux ans, le fabuleux baroud tragique et sanglant de Kozure Ogami, le « loup à l'enfant », bourreau tombé en disgrâce mais justicier implacable et invincible. Et là vous n'avez aucune excuse pour le rater une seconde fois, sinon attention au coup de sabre mortel ...

LE SABRE DE LA VENGEANCE

Premier opus de la série, Le Sabre de la vengeance est l'œuvre fondatrice de la saga, celle qui pose à la fois les bases du personnage mais aussi celle qui donne l'origine de son odyssée meurtrière. Le Samouraï Itto Ogami, exécuteur obéissant et sans pitié à la solde du clan Yagu (il n'hésite pas à occire un enfant !), tombe en disgrâce du fait des manigances du chef de la caste, Retsudo Yagu. Ce dernier, jaloux de la position d'Ogami et patron d'une véritable armée personnelle, désire de plus devenir le principal vassal du Shogun. Refusant de se faire hara-kiri mais ne pouvant empêcher l'assassinat de sa femme, Ogami prend la fuite, en compagnie de son fils de deux ans, Daigoro, non sans avoir reglé son compte aux deux fils de Yagu. Désormais devenu un tueur à gages (rémunéré 500 pièces d'or pour une mission), l'ex-bourreau devenu « Kozure Ogami » (le loup à l'enfant) est embauché pour protéger un samouraï tuberculeux, réfugié dans une station thermale ...


Clé de voûte de la saga Baby Cart, Le Sabre de la Vengeance est d'autant plus important qu'il pose toute les éléments de la saga à venir, à savoir le personnage ô combien monolythique et indestructible d'Ogami, mais dont l'enfant révèle très souvent sa partie humaine, la somme des 500 taels, unique salaire pour ses services, le clan Yagu et son terrible leader voué à la perte de son ancien exécuteur et tout ce décorum censé représenter un Japon terriblement violent et extrême.


Comme pour les films de la série Zatoichi qu'il a réalisé, Kenji Misumi n'hésite pas à illustrer les combats au sabre de multiples geysers de sang et d'effets gore, marques indélébiles d'une violence magnifiée. Pour autant, le cinéaste réussit, avec son sens inné de la mise en scène alliant poésie et actes de cruauté, à rendre crédible dans cet épisode la quasi-invulnérabilité de Ogami (il n'hésite pas à affronter seul des dizaines d'adversaires) ainsi que sa désespérance (la scène du choix imposé à son fils en est un des parfaits exemples). Car Ogami n'est pas un monstre assoiffé de sang, il est rarement l'agresseur et sait aussi se révéler humain, en comparaison des yakuzas qui s'amusent du spectacle de son accouplement avec une prostituée et autres ronins qui ne pensent qu'à comploter. Autre élément inhérent aux films de Kenji Misumi, la connivence entre sang et sexe est à nouveau exploitée, avec cet érotisme troublant magnifié par ses geishas à la peau blanchâtre.


Comme avec Sergio Leone et ses westerns italiens avec Clint Eastwood, le réalisateur japonais réussit à créer un mythe incourtounable du film d'action tout en imposant avec son interprète une série qui restera longtemps comme le « maitre-étalon » du chambara sanguinolent et violent.

L'ENFANT MASSACRE

On ne change pas une équipe qui gagne: avec de nouveau Kenji Misumi aux commandes, cette suite directe embraye directement vers l'action non-stop et la surenchère. Retsudo Yagyu engage cette fois-ci une bande de femmes-ninjas pour éliminer Ogami, ce qui nous vaut une des scènes de « test » les plus hallucinantes et gorissimes du cinéma, où un samouraï se fait littéralement débité en morceaux par les furies extrêmement expertes !


La couleur étant donnée avec cette séquence, la suite se révèlera encore plus apocalyptique. Après qu'Ogami ait réussi à déjouer tous les stratagèmes des amazones japonaises, et ce de manière expéditive, il se verra à nouveau engager, cette fois-ci pour empêcher la divulgation d'un secret portant sur un procédé de teinture (!) auprès du Shogun. Le traître devant livré ce secret étant protégé par les trois Maîtres de la mort, des combattants réputés invincibles dotés d'armes mortelles singulières, la tâche d'Ogami n'en sera que plus ardue.


Épisode sadique et violent, L'Enfant massacre bascule dans un style bande-dessinée qui rapprochera le plus Baby Cart de son matériau d'origine et qui sera aussi une des marques de fabrique de la série. Avec son côté grand guignol assumé sans complexe, de la scène des femmes-ninjas aux actes meurtriers des Maîtres de la mort, en passant par une tête fendue en deux, nous avons droit à toute une série d'actions violentes, mises en scène, rythmées et découpées (c'est bien le cas ici ...) avec efficacité et parfois avec génie. Il n'y a qu'à voir les cadrages travaillés lors de l'affrontement final pour se rendre compte à quel point le film n'est pas une série B mais bien une odyssée lyrique aux confins de la mort.


Mais ce côté morbide est contrebalancé par un humour noir bien présent et aussi une certaine poésie présente lorsque Ogami épargne la dernière femme-ninja afin que sa chaleur corporelle puisse empêcher son fils de mourir d'hypothermie. Une des séquences les plus belles de toute la saga Baby Cart.


Véritable bombe à sa sortie autant aux USA qu'au Japon (et diffusé chez nous sous forme de version remontée pour la VHS titrée Shogun Assassin), L'Enfant massacre est un des chefs d'oeuvre de la saga. Un film qui en a inspiré plus d'un, de Frank Miller avec sa BD Ronin et ses ninjas meurtriers jusqu'à John Carpenter qui s'inspirera des Maîtres de la mort et de leurs armes surnaturelles pour les Trois Trombes des Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin.

DANS LA TERRE DE L'OMBRE

Encore aux manettes du troisième volet de l'odyssée sanglante d'Ogami et de son fils Daigoro, Kenji Misumi reste dans la teneur du précédent opus, mais il offre cette fois-ci à Tomisaburo Wakayama un rôle plus chevaleresque qu'à l'accoutumée. Après un début où nous assistons à une nouvelle joute meurtrière entre Ogami et les sbires du clan Yagu dans une forêt de bambous, évoquant furieusement le style d'un wu xia pian chinois, et une scène éprouvante de viol et d'assassinat perprétré par des ronins vulgaires, l'action de Dans la terre de l'ombre suit une nouvelle mission d'Ogami, engagé cette fois-ci pour rendre justice.


Ayant gagné le respect de Tori, femme-yakuza qui assiste au supplice consenti par Ogami pour rendre la liberté à une adolescente promise à la prostitution, le fugitif devra éliminer l'assassin de la soeur-jumelle de sa commanditaire. Bien que sa cible, devenue entretemps gouverneur, est protégée par une véritable armée, cela ne rebutte en rien le « loup à l'enfant », qui possède bien plus d'un tour dans son sac, ou plutôt dans son chariot ...


Mettant un peu la pédale douce sur le gore (bien que l'on ait droit à une vue subjective venant d'une tête se faisant décapitée !), Kenji Misumi oriente cette fois-ci les péréginations du ronin vers un côté plus western-spaghetti. L'influence de Django et autres Sabata se fait indubitablement sentir, que ce soit dans la musique que dans un final baroque et hallucinant où Ogami extermine l'armée du gouverneur félon grace à des mousquets et autres grenades cachées dans le landau de son fils jusqu'à la présence d'un pistolero infaillible ! Mais ce n'est en fait qu'un échange de bons procédés, Sergio Leone s'étant ouvertement inspiré d'Akira Kurosawa pour créer sa saga de l'homme sans nom. Un humour plus présent qu'à l'accoutumée réussit à faire passer alertement toutes les outrances du postulat final, alors que d'autres séquences arrivent à nuancer la perception d'un héros que l'on pensait inébranlable.


De la séance de torture subie pour sauver une jeune femme à celle plus bucolique où il assiste avec son fils à une averse nocturne, Tomisaburo Wakayama réussit à faire d'Ogami non pas une simple machine à tuer, mais un personnage ambivalent et sympathique, possèdant au fond une véritable âme de rebelle.

L'AME D'UN PERE, LE COEUR D'UN FILS

Pour ce quatrième épisode, Kenji Misumi cède les rênes de la série à Buichi Saito. Ce dernier, ayant jusqu'alors œuvré dans le film de yakuzas (dont l'excellent Femme de Yakuza), réussit son examen de passage en collant parfaitement à l'esthétique et au rythme impulsé par Kenji Misumi. On découvre ainsi dans une première séquence quasi-anthologique la femme-ninja Oyuki qui défait ses opposants en dévoilant sa poitrine ornée d'un tatouage (encore l'utilisation de la dualité Eros/Thanatos). Cette amazone aux talents redoutables devient l'objet du nouveau contrat d'Ogami, mais ce dernier, sensible au drame que sa cible a vécu, victime d'un viol perpétré par son maître de sabre, essayera d'épargner la belle.


Mais son hésitation à exécuter la femme-ninja met paradoxalement en danger une troupe de comédiens itinérants, dont le propre père d'Oyuki et aussi commandiataire du contrat ! Pour compléter le tableau, voici que refont surface le professeur de sabre d'Oyuki, usant du don diabolique d'hypnotisme en faisant apparaître des flammes sur son arme, et Retsudo Yagyu avec son armée personnelle. Le tout amène L'âme d'un père, le cœur d'un fils vers une des conclusions les plus cataclysmiques de la série.


Le personnage d'Oyuki, véritable pendant féminin d'Ogami car aussi solitaire et perdue, devient ainsi avec son tatouage, véritable arme mortelle utilisée pour décontenancer ses adversaires, une des figures emblématiques de la série. De même, soulignant l'orientation plus humaine des aventures d'Ogami, son fils Daigoro est des plus actifs dans cet épisode, véritable relais émotionnel entre son redoutable père et les autres, comme il est souligné dans la scène de bain où par son action muette, il oeuvrera pour le rapprochement entre son père et la femme-ninja.


Le spectaculaire débridé n'est pas non plus absent du film de Buichi Saito, l'affrontement homérique entre Ogami et le sabreur-hypnotiseur étant un des plus beaux duels de la série avec son lyrisme éloquent, alors que la bataille finale à un contre cent réussit à être plus impressionnante que celle du troisième épisode. Ayant réussi le savant mélange entre intrigue de film noir, avec femme fatale et tueur psychotique, et le chambara violent, Buichi Saito, pour son coup d'essai, a fait de L'âme d'un père, le cœur d'un fils un des véritables chefs d'oeuvre de la saga des Baby Cart.

LE TERRITOIRE DES DÉMONS

Avec le retour de Kenji Misumi à la réalisation, ce cinquième épisode de Baby Cart prend un nouveau tournant, en versant sur un côté plus fantastique qu'à l'accoutumée. Ogami, toujours fugitif avec son fils Daigoro sur les routes dangereuses du Japon, se voit ici signifier son nouveau contrat d'une manière des plus déroutantes : chacun des cinq guerriers qu'il défait lui donne la clé d'un message secret ! Sa mission: intercepter le prêtre Jikei et une missive qui doit révéler au Shogun l'imposture qui règne à la tête du clan Kuroda. Le patriarche de ce dernier a mis sur le trône la fille de sa maîtresse, grimée pour ressembler à l'héritier naturel. Le « loup à l'enfant » se trouve ainsi imbriqué dans une intrigue où les dignitaires des différents bords s'affrontent , et dont certaines ficelles sont tirées par son éternel adversaire, Retsudo Yagu...


Malgré le retour à un certain classicisme au niveau de l'intrigue (encore une lutte pour une succession dans un clan), Kenji Misumi ne renie en rien le côté bande dessinée de la saga, illustré par la scène où Ogami commet un assassinat sous-marin ou lors de son affrontement sanglant contre les lanciers masqués du clan Kuroda, personnages ambivalents qui iront jusqu'au bout de leur attachement au clan Kuroda.


Le cinéaste sait aussi mettre le focus sur le personnage de Daigoro, mouvement initié dans l'épisode précédent. Le gamin qui reste toujours aussi silencieux, quitte ici son rôle de faire-valoir sentimental en devenant un dur et un digne héritier de la droiture et de la morgue de son père. Il subit ainsi la bastonnade sans broncher, uniquement pour ne pas dénoncer une voleuse et réussit à gagner l'estime de son géniteur.


Certes, la saga prend ici un rythme routinier, avec Ogami en dispenseur d'une forme de justice expéditive et quasi-surnaturelle mais c'est à nouveau un personnage féminin qui retient l'attention dans Le Territoire des démons. Espionne à la solde du clan Kuroda, la mystérieuse Shiranui (magnifique Michiyo Ookusu que l'on a revu dans Zatoichi de Kitano) illustre le côté moral qui emprègne le film, elle dont la loyauté restera indéfectible envers son clan et la mènera au suicide dans un des plus beaux moments du film.

LE PARADIS BLANC DE L'ENFER

Ultime film de la saga Baby Cart, Kenji Misumi laisse pour la deuxième fois son poste à un nouveau. Yoshiyuki Kuroda (à l'œuvre sur les films de monstres de la série Yokai Monsters; bientôt remaké par Takeshi Miike) lorgne cette fois-ci vers James Bond pour illustrer les dernières pérégrinations violentes du « loup à l'enfant ». La couleur est donnée dès le générique, rythmé par une musique estampillée seventies que n'aurait pas renié John Barry, jusqu'à un final des plus cartoonesques de la série où Ogami chevauche le landau transformé en luge meurtrière !


Mais entre ces deux moments de délire assumé, nous suivons dans Le Paradis blanc de l'enfer la lutte d'Ogami contre les agents terribles envoyés par Retsudo Yagyu. C'est d'abord Kaoru, fille de ce dernier et guerrière spécialiste de la technique du sabre planté dans la tête, donnant droit à de nouvelles scènes de gore croquignolesque, qui s'y colle. Puis, suite à son échec (Ogami se servant de son fils de manière bien peu orthodoxe), ce sont les trois Shininogi, ninjas dôtés de dons surnaturels leur permettant de se déplacer sous terre, qui seront envoyés pour éliminer le ronin et son fils ...


Laissant de côté la vision artistique insufflée jusqu'alors par Kenji Misumi, Yoshiyuki Kuroda opte pour une version plus exploitation de la saga. Ainsi, cohabitent dans son film des scènes lorgant vers le cinéma fantastique et d'horreur (l'apparition des Shininogi et leurs meurtres perpétrés dans l'hôtel), le western-spaghetti (le final dans la neige rappelant Le Grand silence de Sergio Corbucci) et la saga James Bond avec son landau transformé en arsenal ambulant et mortel ou encore les guerriers de Yagyu dévalant les pentes sur des skis. L'ensemble réussit à tenir la route grâce à un rythme et une mise en scène des plus soutenues mais aussi grâce à l'aura de son interprète principal, qui n'a jamais paru aussi invincible.


Prenant une orientation qui, au niveau du délire, raproche le film des œuvres de la Shaw Brothers, Le Paradis blanc de l'enfer, malgré sa réputation un peu plus faible que les autres volets de Baby Cart, est un formidable film d'action, ménageant quelque grands moments de tragédie (la mort par empalement des deux derniers héritiers du clan Yagyu) et de violence qui ont fait le succès de la série.


Malheureusement, la saga s'arrête sur ce denier film et son histoire reste inachevée. Il y a plusieurs raisons à cela : les résultats décevantss au box-office du dernier épisode, les exigences devenues prohibitives de son interprète principal qui quitte le bateau, le décès du réalisateur Kenji Misumi le 24 septembre 1975, âme créatrice de la série.


La conclusion viendra de la bande dessinée, Kazuo Koike rédigeant en 1976 le dernier acte qui verra Ogami mourir dans le dernier affrontement contre le clan Yagyu, alors que le patriarche sera tué des mains même de Daigoro. Mais le créateur du manga essaiera de ressusciter la série en produisant un remake du Sabre de la vengeance en 1992, qui ne sera pas un franc succès. Et depuis quelque temps, on parle d'un scénario adapté par Darren Aronofsky (Requiem for a dream, The Fountain) qui permettrait au personnage de faire un come-back hallucinant. Preuve que les bonnes histoires non seulement n'ont pas de frontière mais qu'elles ne peuvent rester inachevées. Mais même incomplète, Baby Cart avec Tomisaburo Wakayama (disparu en 1992) reste une série unique et absolument incontournable que tout amateur de films extrêmes se doit de posséder ou d'avoir vu au moins une fois.

Résumé

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commentaires
dams50
22/09/2020 à 23:03

Oyez, oyez !

Réédition de l'intégrale du Manga "Lone wolf and cub" de Kazuo Koike annoncée par Panini pour courant 2021.

Qu'on se le dise.

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