Critique : Un Chien andalou

Erwan Desbois | 2 novembre 2005
Erwan Desbois | 2 novembre 2005

Surréaliste. Un terme aujourd'hui passé dans le langage courant, mais avant tout un mouvement qui bouleversa toutes les formes d'art au cours de l'entre-deux-guerres, en se mettant en porte-à-faux des notions de logique et de sens qui régissent habituellement le processus de création artistique. Un chien andalou, traditionnellement reconnu comme étant le premier film surréaliste, fut ainsi au cinéma ce que la poésie et l'écriture automatique furent à la littérature : un espace de liberté pure, exempt de contraintes et de règles. Mais le cinéma étant un art plus jeune et plus manipulateur que la littérature, le court-métrage de Luis Buñuel et Salvador Dali eut une influence autrement plus grande sur le reste de la production que l'écriture automatique – influence toujours bien vivace aujourd'hui.


Film muet, Un chien andalou est un exemple de cinéma dans ce qu'il a de plus pur : une succession arbitraire (par le découpage) d'images malléables à l'envi (par le cadrage et les effets spéciaux). Par leur processus d'écriture automatique des scènes, Buñuel et Dali n'ont fait que pousser cette double artificialité à l'extrême. Tous les repères spatiaux et temporels du monde réel sont en effet abolis : les personnages et les objets apparaissent dans les décors sans que rien ne les y ait amenés, les portes de chambres donnent sur des bords de mer, et les cartons d'indication de temporalité sont fantaisistes au dernier degré. « Seize ans avant », « Huit ans après »… faux allers-retours dans le temps, qui nous replacent au même endroit et en présence des mêmes personnages – ou non, qui sait ?




Ce que Buñuel et Dali ont réalisé en un quart d'heure de film écrit en une semaine et financé par la mère du premier est bien plus qu'une profession de foi surréaliste : c'est une démonstration magistrale du pouvoir des images et du cinéma. La première séquence, qui fait partie du panthéon des moments cultes de son histoire, est d'ailleurs emblématique de cet état de fait : un homme aiguise un rasoir, regarde la pleine lune dans le ciel, s'approche d'une femme, lui ouvre l'œil gauche… à ce moment-là, un plan de coupe nous montre la pleine lune « tranchée en deux » par un nuage. Retour sur le gros plan de l'œil, à son tour tranché par le rasoir.







Sauf que… dans ce dernier plan, la tête et l'œil sont ceux d'un animal. La supercherie a beau être évidente avec un arrêt sur image, cette réalité concrète est battue en brèche par le montage et le parallèle réalisé avec la pleine lune : la scène nous choque comme si on avait réellement vu un œil féminin se faire déchirer – et nous hante de manière définitive.


Si les procédés manipulateurs d'Un chien andalou et des surréalistes ont par la suite influencé à une plus ou moins grande échelle toutes les catégories d'art visuel (le cinéma bien sûr, mais aussi la publicité et le clip), l'unique réalisateur à s'en rapprocher au plus près actuellement est David Lynch. Lui seul torture avec la même virtuosité et la même folie la logique des images – et des sons, ce que Buñuel et Dali ne pouvaient encore trop faire – et le spectateur. Il nous emmène (de la manière la plus évidente dans Lost highway) dans un univers clairement fantasmé, mais dont l'extrême cohérence interne peut rendre fou car elle brise la frontière érigée par la raison humaine entre le rêve et la réalité. Lui seul poursuit, soixante-dix ans après, l'idéal de cinéma – et le cinéma idéal – révélé par Un chien andalou.

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