Critique : Onibaba, les tueuses

Patrick Antona | 10 décembre 2005
Patrick Antona | 10 décembre 2005

À la fois drame érotique, pamphlet libertaire, manifeste de révolte sociale et film fantastique, Onibaba de Kaneto Shindo est un film sur lequel le temps (il est sorti en 1964) n'a en rien atténué ni la portée ni la puissance. Sorti trois ans après la révélation de L'Ile nue, à l'esthétique similaire, Onibaba apporte cette fois-ci à l'imagerie sensuelle de son cinéaste tout un discours subversif qui par ce fait, lui permet d'être tout à fait en phase avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague japonaise alors émergeante, à savoir Nagisa Oshima et Shohei Imamura.


Ici, les deux personnages féminins principaux vivent en vase clos, reclus dans un marécage, en complète autharcie par rapport à un Japon féodal en pleine guerre. Ce dernier ne se manifeste que sous la forme de soldats perdus ou de samouraï en fuite, qui deviendront des proies faciles pour les deux furies, jetant les cadavres dans un trou (Onibaba) et faisant commerce des armures récupérées.


Comme chez Kihachi Okamoto, la position martiale et altière du guerrier nippon en prend un grand coup, mais Kaneto Shindo, plutôt que de s'engouffrer dans une critique sociale trop politisée, construit sa réflexion sur la description un monde ancestral sublimé, naturel et sensuel en oppostition complète avec une société moderne et hierarchisée, le tout en restant minimaliste.


Usant d'un érotisme trouble qui le rapproche de Yasuzo Masumura, sa peinture de ces femmes à la sensibilité fruste virant dans la passion sexuelle et destructrice, annoncée par le vent qui agite inlassablement les roseaux du marais, se matérialisent par le biais de séquences qui gardent encore maintenant leur côté sulfureux. Avec ces corps qui se dénudent, s'agitent, s'étreignent, ce ne sont ni plus ni moins que les convulsions d'un Japon en lutte avec lui-même qui sont ici exposées. Servi admirablement par une photo noir & blanc magnifique, entourant les corps d'un écrin de velours terriblement érotique, découpant comme au couteau les scènes de nuit, Onibaba n'est pas seulement un film à l'atmosphère onirique des plus prenantes mais aussi un drame parfaitement interprété.


Si la palme revient en premier aux deux actrices principales (Nobuko Otowa et Jitsuko Yoshimura), usant de l'animalité de leur corps comme savent si bien le faire les comédiennes japonnaises, l'acteur Kei Sato n'étant pas en reste, parfait dans le rôle du déserteur, qui, tel un renard cherchant à s'infiltrer dans le poulailler, sera le catalyseur des rancunes souterraines entre les deux femmes, amenant ce trio infernal (la mère, la belle-fille et l'amant) dans la vengeance meurtrière. Et le film de basculer dans l'horreur ghotique la plus totale avec ses ultimes scènes, devenus emblématiques du film, où la belle-mère, abhorrant un masque de démon, se retrouve prisonnière d'une malédiction qu'elle vouait aux autres.


Onibaba demeure encore, plus de quarante après sa sortie, ce brulôt érotique et foisonnant qui avait permis de découvrir un réalisateur important, à l'impressionnante filmographie de plus de 40 titres dont, malheureusement, très peu ont été distribués en France encore maintenant. Espérons que de prochaines sorties DVD sauront palier à cette injustice manifeste, au regard de la qualité de ces rares films connus sous nos horizons.

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