Critique : Intimate confessions of a chinese courtesan

Patrick Antona | 10 juin 2005
Patrick Antona | 10 juin 2005

Attention chef d'oeuvre ! Intimate confessions of a chinese courtesan avait fait l'effet d'une bombe à l'époque de sa sortie à Hong Kong au début des années 70, bousculant la vision puritaine et profondément machiste de la société de l'île. En utilisant le thème de l'homosexualité féminine (sujet très tabou en Asie) dans le cadre habituel du film de sabre et d'arts martiaux chinois (le wu xia pian), Chu Yuan n'hésite pas à mettre en scène la sexualité de manière explicite. Si le style reste assez chaste à nos yeux désormais un peu blasés, ces scènes n'ont rien perdu de leur sensualité immanente, servant avec bonheur une intrigue passionnante et des scènes d'action d'une rare intensité, le tout faisant de Intimate Confessions un des films les plus somptueux de l'âge d'or de la Shaw Brothers, et une de ses plus belles histoires d'amour tragique.


Située au sein d'un bordel du moyen-âge chinois, l'histoire décrit le destin romanesque de Ai Nu (qui se traduit par « esclave de l'amour »), de son arrivée après son enlèvement, son dressage par la mère maquerelle du lieu, Chun Yi, et de ses premières révoltes contre le destin qui lui est imposé. En usant à la fois de force et de séduction, Chun Yi (la taïwanaise Betty Pei Ti) réussira à transformer la sauvageonne Ai Nu (la méga-star Lily Ho à l'époque) en concubine de luxe. Mais en la livrant en pâture à quatre notables plus obsédés sexuels les uns que les autres, elle ne sait pas qu'elle vient de créer l'instrument de sa propre perte. Devenue la compagne de Chun Yi (les fameuses scènes de sexe au charme certe surrané mais terriblement envoûtant), Ai Nu apprendra à son contact aussi la discipline des arts martiaux. Usant de sa beauté et de son corps comme une arme, elle se lancera dans une croisade vengeresse, suspectée par le chef de la police (le vétéran Yueh Hua) qui ne reste pas insensible à ses charmes.


Toute la science du cinéma de Chu Yuan éclate au gré des tableaux soignés qui sont parsemés dans le film, où les décors conçus méticuleusement impriment une atmosphère d'étrangeté aux confins du fantastique. Somptuosité aussi dans les costumes qui renforcent les caractères des deux héroïnes. De la scène de « rhabillage » de Chu Yuan dans le générique de début aux différentes parures colorées portées par Ai Nu au gré des différentes scènes qui la verront assouvir sa vengeance, tout est subtilement pesé et agencé pour mythifier ce couple amoureux hors-norme. Astucieux réalisateur, Chu Yuan réussit à ne pas trop en dévoiler et nous fait partager en tant que spectateur le point de vue de Yueh Hua, seul personnage masculin intègre du récit, mais relativement impuissant à pénétrer l'intimité de ces deux femmes.


Les scènes d'arts martiaux élaborées par les experts de la Shaw sont toutes emprunts à la fois de légèreté et de virtuosité, surtout dans les scènes de sabre, mais cela n'exclut en rien la sauvagerie, l'hémoglobine coulant à flots, comme dans un bon vieux Chang Cheh. Principal attrait du film, le charme évident et l'aura qui émane de ces deux vedettes féminines permet d'appréhender le statut de quasi-déesse dans lequel elles ont baigné à travers toute l'Asie à l'époque. Qaunt à l'intrigue, si elle est bien moins complexe que les scénarii à tiroirs de The magic blade ou du Complot des clans, la trâme linéaire concoctée par Chiu Kang Chien arrive à ménager le suspens (et quelques surprises), jusqu'au climax final d'une rare violence. Là, Ai Nu, toute parée du blanc de la pureté et du deuil, accompagnée par Chun Yi, toutes griffes dehors, se livreront à un baroud sanglant, qui n'a rien perdu de sa force, plus de 30 ans après. D'ailleurs Quentin Tarantino s'en souviendra et la scène de Kill Bill vol. 1 où Uma Thurman affronte le gang de Lucy Liu en est un hommage avéré.


Intimate confessions of a chinese courtesan est ainsi l'Everest d'un genre (le mélange sexe et arts martiaux) qui donnera naissance à quelques ersatz dans les années 70. Sa force et son faste particulier ne seront jamais égalés. À noter que le studio Shaw Brothers et Chu Yuan tenteront de faire renaître le genre en 1984 avec un remake titré Lust for love of a chinese courtesan, mais l'essai ne sera pas concluant et le metteur en scène mettra alors fin à sa carrière.

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