Critique : La Légende de Zatoichi - Le masseur aveugle

Erwan Desbois | 13 juin 2005
Erwan Desbois | 13 juin 2005

Le Masseur aveugle est le premier des vingt-cinq films de la saga Zatoïchi. Ce personnage, mythique au Japon, ne fut révélé au grand public européen que l'année dernière, avec la relecture qu'en a effectué Takeshi Kitano, quinze ans après Retour au pays natal, dernier épisode mettant en scène le seul acteur à avoir interprété Zatoïchi auparavant, au point qu'il est devenu indissociable du rôle : Shintaro Katsu.


Par-delà le goût des japonais pour les héros récurrents (voire les dizaines de films sur Godzilla, Maijin ou encore Yojimbô), la longévité et le caractère culte de la série Zatoïchi s'expliquent par son amoralité et son refus constant des conventions, deux partis-pris radicaux qui éclaboussent l'écran dès ce premier volet. Le scénario du Masseur aveugle se déroule sur fond de guerre des gangs, et oppose plus particulièrement les hommes de main « phares » de chacun des clans : Zatoïchi et le ronin (samouraï déchu) Hiraté. Un affrontement anti-héroïque au possible, car aucun des deux camps ne représente le bien par rapport à l'autre, bien au contraire – la règle d'or suivie par l'ensemble des personnages semblant en effet être de tout faire pour attaquer plus faible que soi.


Zatoïchi lui-même n'échappe pas à ce principe, comme le prouve son combat nocturne avec deux membres du clan ennemi au cours duquel il éteint la seule source de lumière présente (une lanterne) sous prétexte de placer ses adversaires dans les mêmes conditions que lui. Une justification qui n'est rien d'autre qu'un mensonge éhonté, Zatoïchi étant évidemment bien plus habitué qu'eux à l'obscurité. Ce duel, qui représente la première occasion de voir le masseur aveugle à l'œuvre, arrive tardivement dans un récit qui prend un malin plaisir à conserver le plus longtemps possible le mystère quant aux capacités réelles du héros. La découverte de celles-ci passe en effet d'abord par une scène de… pêche, à la mise en scène que l'on peut qualifier de « sonore » tant le découpage de cette séquence est construit autour du ressenti du monde qui l'entoure par Zatoïchi, que la cécité a poussé à aiguiser à l'extrême ses autres sens. Par la suite, et avant de se confronter à des adversaires humains, c'est sur une bougie qu'il fera la démonstration au clan et au spectateur de sa maîtrise du maniement du sabre.


Mais pour survivre autrement que comme une « bête de foire » selon ses propres termes, il n'a pas suffi à Zatoïchi de devenir un sabreur hors pair ; il lui a aussi fallu s'adapter aux mœurs d'une société rongée jusqu'à la moelle par la corruption et l'appât du pouvoir. Son attitude reste ainsi ambiguë tout au long du film, entre sens de l'honneur (le respect mutuel qu'il cultive avec Hiraté, même pendant leur duel à mort) et hédonisme nihiliste : Zatoïchi prend en effet plaisir à jouer aux jeux d'argent, fuit sans un mot face à l'amour que lui offre le seul personnage pur du récit, et surtout ne tente à aucun moment d'éviter la guerre qui se prépare, tout comme Hiraté. Lorsque les deux hommes les plus forts du village ne sont pas les plus sages mais les plus résignés, le carnage est inévitable – celui qui conclut Le masseur aveugle n'épargne personne : ni les femmes, ni les personnes âgées, ni les enfants. C'est l'ensemble des villageois, pourtant neutres dans cette guerre de clans, qui sont décimés par l'explosion de violence aveugle qui submerge le film, qui se voit alors transformé en cauchemar par la mise en scène brutale et sans concession de Kenji Mizumi (qui réalisera par la suite plusieurs autres épisodes de Zatoïchi, ainsi que quatre des six Baby Cart).


Les fondations de la saga (regard désabusé sur le monde, frontière floue entre le bien et le mal, violence graphique et soudaine soutenue par une grande inventivité visuelle) sont donc posées avec force dès ce premier volet jubilatoire et renversant de modernité. Et le départ de Zatoïchi, seul sur la route, à la fin du film n'est pas une conclusion, mais bel et bien le début d'aventures dépourvues de toute morale et de toute retenue.

Résumé

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