Le Dernier des Mohicans : critique armée

Julien Welter | 3 mai 2014
Julien Welter | 3 mai 2014

Dans la filmographie de  Michael Mann, Le Dernier des Mohicans se situe entre L.A. Takedown et Heat. Entre deux polars datant respectivement de 1989 et 1995, le cinéaste a adapté en 1992 ce classique de la littérature de jeunesse. Rien de commun à priori. On pourrait même penser que le réalisateur effectue ici une commande pour se racheter les bonnes grâces d'Hollywood. Cette adaptation du roman de Fenimore Cooper est pourtant une étape nécessaire pour permettre à sa mise en scène de passer du téléfilm sympathique au chef d'œuvre. Ce grand film d'aventure est alors autant une limite entre deux périodes artistiques du réalisateur qu'une œuvre sur la frontière historique entre les civilisations anciennes et modernes.

D'ailleurs, sûrement moins que l'histoire, c'est l'époque qui intéresse Michael Mann. Situé durant la guerre d'indépendance qui oppose les colons américains aux troupes anglaises, elle voit la naissance des Etats-Unis mais surtout le basculement irrémédiable de cette terre sauvage à l'état de nation. Les montagnes embrumées et les forêts verdoyantes sur lesquelles s'ouvrent le film et la traque d'un gibier par trois hommes qui tuent la bête tout en lui rendant hommage, sont bien évidemment les restes d'un paysage indompté. Ces trois chasseurs, les derniers d'une tribu indienne, sont les derniers à vivre dans un environnement naturel en adéquation avec leur propre nature humaine. Les fermiers qui vivent à la frontière entre le pays et la forêt, sont une forme acceptable de civilisation bien qu'elle soit en même temps la plus vulnérable comme le prouve la suite. E

n plein milieu d'un jeu entre indiens, le pont se reflétant parfaitement symétriquement dans l'eau illustre l'irruption et le dessein de la civilisation moderne : mettre au pas la nature. On aperçoit une fabrique quelconque utilisant des pommes, on dresse une table au milieu d'un champ. Toutes ces incongruités qui brise l'harmonie avec la nature et qui ont fait notre époque.

 


Ainsi débute l'affrontement entre civilisations modernes et anciennes, un combat éminemment violent comme le montre le regard effrayé de la cadette des sœurs Monroe. A travers ce personnage qui représente ce qu'aurait dû être l'époque moderne (innocente), se ressent l'horreur de cette opposition qui changea le monde. Mais le combat ne laisse aucun doute sur son issue, la civilisation moderne vaincra car elle est la plus forte. Seulement la jeune femme qui représente le futur qu'on était en train de lui bâtir, se suicidera afin de rejoindre le fils du Dernier des Mohicans. Ce geste est alors éminemment symbolique de notre époque contemporaine qui a évacué le meilleur de deux civilisations.

 


Mais Michael Mann n'est pas un sermonneur du passé. Cette histoire illustre un fait daté et ce qui l'intéresse dans Le Dernier des Mohicans, c'est qu'il est une sorte de préquelle à cette histoire contemporaine à venir d'un flic et d'un gangster. Selon lui, la modernisation de cette terre est surtout regrettable du fait qu'elle ait mis la nature humaine dans le contexte d'une société moderne qui ne lui sied pas. Les derniers indiens sont des hors la loi au sens propre du terme puisqu'ils vivent en accord avec la nature et non selon les lois d'un gouvernement ou d'une cause. Ils sont fidèles à leur propre principe, à la loyauté et à la loi du plus fort. Ils sont véritablement héroïques.

Tous les autres, représentants de la civilisation moderne, trahissent et mentent seulement parce qu'ils ont le pouvoir. Le général anglais trahit les miliciens et ordonne l'exécution de Daniel Day Lewis en dépit du fait que ce dernier a sauvé ses filles, le général français trahi Magua. Tous agissent selon les lois supérieures de la royauté et donc du divin. Cette inadéquation entre environnement et nature humaine mènera les personnages futurs de Michael Mann à perdre leur héroïsme. Dans Heat, Robert De Niro n'arrive pas à vivre selon la société moderne et à être amoureux de même que Al Pacino. Ils sont les descendants des Mohicans mais sont isolé dans cette société moderne dans lequel ils ne se retrouvent pas. Désabusés, perdus et ne vivant que pour montrer à tous la loi qui les régit : celle du plus fort.

 


Malgré ces combats magnifiques, il faut ainsi remarquer que dans Le Dernier des Mohicans, la logique est simple : le plus fort gagne, et rapidement en plus (voir la fin). Ce principe, Michael Mann le questionne et précise qu'il est mauvais si on essaye d'en tirer un avantage (comme le font les militaires dans Le Dernier des Mohicans ou les magouilleurs dans Heat). Un seul impératif à l'application de cette loi, le faire par amour pour ceux que l'on aime. Ainsi dans cette galerie de personnage ressort Magua, le Hurons trahi par tous et qui se venge de tous. Il est le plus mauvais mais en même temps le plus terriblement humain car il se venge à juste titre des ignominies qu'il a subit.

Il utilise les moyens perfides de la civilisation moderne (le mensonge et la trahison) et représente le pire de la civilisation à venir : il a la sauvagerie de l'ancienne et n'a pas l'amour qui pourrait l'apaiser. Pour cela, il est le plus dangereux parce qu'il est sans coeœur (bien qu'il essaye d'en prendre un au général). Sa main tendue à la plus jeune des sœurs est alors un geste de réelle compassion. Il semble avoir compris que la loi du plus fort qu'il a appliqué en tuant le jeune Mohican, est la plus tragique, sans amour. Il est le parfait opposé de Val Kilmer dans Heat. Ce dernier sacrifiait tout à l'amour et en est récompensé. Il est le seul de tous à sortir indemne de cette histoire (Pour rappel, De Niro meurt et Pacino se sépare de sa femme).

 

Dans tous les films de Michael Mann, les personnages qui donnent tous pour ceux qu'ils aiment sont irrémédiablement sauvés. Pas forcément de la mort comme nous le montre la fin, mais du moins d'être des barbares modernes qui s'entretuent pour rien. Ainsi les courses de Daniel Day Lewis et des indiens qui filent directement vers leur objectif sont des moments inoubliables car ce sont des lancées vers ce qui leur est cher. L'importance que revêt la montagne montre bien qu'ils sont en plein retour à leur nature humaine en adéquation avec leur environnement. Un pur moment d'héroïsme emmené sur la musique du premier baiser entre Daniel Day-Lewis et Madeleine Stowe. Michael est finalement un grand romantique.

Résumé

Le Dernier des Mohicans est parmi les grands films de Michael Mann, et une pièce-maîtresse de sa filmographie.

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Lecteurs

(4.3)

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commentaires
ttopaloff
04/10/2021 à 10:32

La fin, sans dialogue, juste avec "Promentory" : magnifique

the défenders
04/05/2018 à 09:42

Film vraiment Superbe ainsi que la Musique de Trévor Jones.... ce genre de film manque vraiment. GRANDIOSE...

Euh
04/05/2018 à 09:19

Ça spoile à tout va cette critique. Mais bon, la faute en revient aussi à ceux ne connaissant pas ce chef d'œuvre.

Seb
04/05/2018 à 08:21

Un authentique chef d’oeuvre. Par contre, un détail d’importance: le film ne se déroule pas pendant la guerre d’independance américaine mais durant la guerre de 7 ans, presque 20 ans plus tôt. C’est donc bien une opposition entre Français et Anglais, colons et indiens apparaissant dans le film comme des pions auxiliaires dans un conflit entre grandes monarchies européennes. Le personnage de Daniel D Lewis dénonce d’ailleurs clairement ce jeu de dupe dans lequel sont pris des protagonistes n’ayant au final aucun intérêt dans le conflit.

Flash
04/05/2018 à 07:42

Film surcoté? Non, juste un chef d'oeuvre, comme pas mal de films de ce grand réalisateur.

africain78
04/05/2018 à 06:28

le film que j'ai le plus vu ,avec la grande vadrouille

corleone
04/05/2018 à 00:11

Vous êtes génial, monsieur Michael Mann, vous ne pouvez savoir à quel point vous nous manquez.

Hank Hulé
04/05/2018 à 00:09

Excellent mais ventre mou dans le fort au milieu

cooper
03/05/2018 à 22:37

les 15 derniers minutes sont épiques, une des plus belles fins de l histoire du cinema.

Hasgarn
03/05/2018 à 22:24

Une surcote très unanime.
J’aime ce film, un de mes préférés.

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