Critique : Coffret Robert Bresson

Erwan Desbois | 30 mars 2005
Erwan Desbois | 30 mars 2005

C'est un coffret pour le moins hétéroclite que celui consacré par MK2 à Robert Bresson. Il associe en effet l'ultime film du réalisateur, L'argent, tourné en 1983 – soit sept ans après le précédent – à deux oeuvres datant de la période la plus prolifique de Bresson (sept films en treize années entre 1956 et 1969), Pickpocket et Procès de Jeanne d'Arc. À première vue, les trois films semblent également très différents dans leurs thématiques : quête de soi dans Pickpocket, reconstitution historique dans Procès de Jeanne d'Arc, allégorie sociale dans L'argent. Les liens entre ces longs-métrages se trouvent en fin de compte dans le caractère de leurs personnages principaux. Michel l'apprenti voleur de Pickpocket, Jeanne d'Arc et Yvon le héros condamné à tort pour trafic de faux billets de L'argent partagent en effet la même dignité qui les place au ban de la société. Cette dignité leur est imposée par la quête de pureté (à préserver pour Michel et Jeanne, à retrouver pour Yvon) qu'ils se commandent à eux-mêmes de mener à bien, quête qui requiert un repli sur soi et un refus du compromis incompatibles avec le fonctionnement des sociétés entourant chacun de ces héros.

Les scénarii des trois films sont des engrenages inarrêtables, d'une simplicité terrifiante. L'inéluctabilité du drame est particulièrement palpable dans Procès de Jeanne d'Arc et dans L'argent, deux récits où le personnage principal se retrouve seul face à un système corrompu et tout puissant, qu'il s'agisse d'un tribunal religieux ou de la société de consommation. Chez Bresson, l'arme absolue de cet oppresseur vis-à-vis de l'opprimé est la parole, ou son absence : là où les juges de Jeanne saoulent cette dernière de questions, l'entourage de yvon le conduit à sa perte en s'en tenant à un mutisme glacial, là où un mot suffirait à l'innocenter (pour l'homme qui lui a transmis le faux billet) ou à le soutenir (la femme de yvon qui l'abandonne via une lettre). Dans les deux cas, cet acharnement à parler ou à se taire conduit le héros à sa perte. Pire, cette fin tragique qui attend Jeanne et Yvon ne fait plus de doute pour le spectateur assez tôt dans le récit, tellement l'enchaînement des scènes est immuable. Cette toute puissance de la société face à l'individu qui s'écarte des normes que sont l'hypocrisie et le mensonge était même annoncée dès les titres de ces deux oeuvres : l'absence d'article défini pour Procès de Jeanne d'Arc, la généralité abstraite d'un titre comme L'argent.

Par sa sobriété extrême, la mise en scène rend compte de l'impuissance tant de Jeanne que de Yvon. Toute en ellipses sèches et en séquences ne durant pas plus que le strict nécessaire, elle ne fait qu'enregistrer les faits comme si la caméra était elle aussi paralysée devant le destin qui attend les deux héros. Ce parti pris très strict, qui représente le cœur des deux films, en est aussi paradoxalement le point faible. En ne faisant aucune concession, en ne laissant jamais d'ouverture, Bresson prend en effet le risque d'asphyxier ses récits en les réduisant à une seule idée, répétée encore et encore. Cette faiblesse est amplifiée par les limites inhérentes à chacune des deux oeuvres. Dans Procès de Jeanne d'Arc, le souci de véracité historique poussé à l'extrême (Bresson s'est basé uniquement sur les minutes du procès de Jeanne) empêche tout développement dramatique de l'histoire ; dans L'argent, c'est la dernière partie, trop allégorique et absconse, qui réduit la portée de la démonstration voulue par le metteur en scène.

Procès de Jeanne d'Arc : 06/10
L'argent : 07/10

C'est finalement dans Pickpocket, le plus ancien des trois films, que l'on trouve le regard le moins noir et implacable, et que l'on entrevoit même une lueur d'espoir. En effet, à travers le choix de vivre dans la transgression des lois, l'action de se placer à l'écart de la société découle d'une volonté consciente de la part de Michel, le héros - qui pourra donc également s'en sortir par lui-même. Mal dans sa peau, Michel ne se sent pas à sa place parmi ses contemporains, et décide de devenir pickpocket. Cette situation exprime parfaitement son rapport particulier au monde, puisqu'il devient à la fois un être supérieur par sa maîtrise de l'art de voler sans que la victime ne se doute de rien, et un paria mis au ban de la société et qui n'inspire que mépris ou pitié. La mise en scène de Bresson est au diapason de la dualité du héros : froide et expéditive lorsqu'il s'agit de décrire la banalité de sa vie de tous les jours, elle adopte un rythme enlevé et des cadrages inattendus pour rendre compte des vols. Comme si ceux-ci l'hypnotisaient, et insufflaient ainsi la vie au film en même temps qu'au personnage.

Face à Michel, la société est présentée sous un jour meilleur que dans Procès de Jeanne d'Arc et L'argent. L'autorité garante des lois est toujours présente, cette fois sous les traits d'un commissaire de police, mais avec une relation bien plus humaine avec Michel que dans les deux autres films. Le commissaire cherche en effet à prévenir plutôt qu'à guérir, par des conseils et des mises en garde prodigués au cours de discussions informelles. Michel peut également compter sur deux autres soutiens, contrairement à Jeanne et à Yvon qui étaient définitivement abandonnés de tous : son meilleur ami, et Jeanne, jeune femme amoureuse de Michel et qui lui restera fidèle contre vents et marées. C'est de son amour que viendra le salut de Michel au bout de ce chemin tortueux, car c'est auprès d'elle, qui tient à lui et qui compte sur lui, que se trouve sa place dans le monde. En offrant ainsi une porte de sortie au héros, cette conclusion lumineuse donne une dimension supplémentaire à Pickpocket, et le rend plus accessible que les deux autres films du coffret.

Pickpocket : 08/10

Résumé

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