Arrête-moi si tu peux : critique en fuite

Laurent Pécha | 12 février 2003 - MAJ : 19/02/2020 09:58
Laurent Pécha | 12 février 2003 - MAJ : 19/02/2020 09:58

Basé sur la véritable histoire de Frank Abagnale, Arrête-moi si tu peux nous plonge dans les années 60 où le jeune Frank, 16 ans mène une vie paisible avec ses parents jusqu'au jour où ces derniers divorcent. Étant forcé de choisir entre son père qu'il admire et sa mère, Frank s'enfuie pour mener une vie incroyable où durant plusieurs années il va devenir tout à tour pilote de ligne pour la Pan Am, médecin, avocat et professeur d'université tout en en encaissant des centaines de chèques falsifiés lui faisant gagner plus de 2, 5 millions de dollars. Arrête-moi si tu peux relate la course poursuite que mena l'agent du FBI, Carl Hanratty pour appréhender ce drôle de criminel, véritable caméléon insaisissable.

Quand on connaît la quasi obsession de Spielberg de mettre en scène les moeurs et dilemmes de la famille américaine au fil de sa carrière et que l'on sait à quel point le propre divorce de ses parents l'a profondément et durablement affecté (il n'a eu de cesse depuis lors de tenter de les réconcilier avec succès puisque depuis quelques années, son père et sa mère, du propre aveu du réalisateur, sont devenus très amis), on a bien du mal à croire que le cinéaste ait failli laisser passer l'occasion de prendre personnellement les rênes de Arrête-moi si tu peux (il fut longtemps question qu'il ne soit que producteur).

Lui qui directement, mais sans jamais s'épancher à l'époque sur le sujet, avait clairement fait de E.T. un film profondément personnel où le divorce de ses parents et la perte affective qui en résultait était compensé par Elliot (Steven) et par l'improbable amitié avec un extra-terrestre, sorte de substitut « réel » à l'ami imaginaire que l'on peut se créer dans ces moments de solitude. Il faut alors se demander légitimement si le script original de Arrête moi si tu peux possédait autant cette connotation quasi obsessionnelle et désespérée qui pousse le héros, Frank Abagnale à vouloir plus que tout reconstruire une cellule familiale brutalement dissoute. Sans doute pas et c'est justement cette (presque) pathétique et maladroite tentative de reprendre sa destinée en main en s'enfuyant, se cachant dans le mensonge, l'escroquerie, l'épate et l'illusion (pour se protéger d'une réalité amère et impitoyable) qui rend Arrête-moi si tu peux de bout en bout passionnant. 

 

 


D'autant plus que Spielberg, pourtant pas vraiment friand du mélange des genres (à l'exception du mémorable et culte 1941), a su enrober ce drame « familial » de toutes les apparences de la comédie sophistiquée. En décalquant à peine les grandes heures de la comédie façon Blake Edwards (ce n'est pas un hasard si l'inspirée partition musicale de John Williams rappelle les plus belles bandes originales de Henry Mancini) tout en glissant de savoureux clins d'oeil cinéphiliques (dont un, génial, à James Bond avec thème musical à l'appui), Spielberg s'amuse et n'a de cesse de rendre chaque séquence la plus fluide, la plus jazzy possible utilisant ainsi au mieux les possibilités narratives de l'incessant jeu de chat et la souris qui sert de fil conducteur à son récit. En résulte une narration totalement décomplexée où le cinéaste s'offre quelques une de ses plus belles scènes (voir la manière exubérante et glamour utilisée par Abagnale pour s'envoler de l'aéroport de Miami) cherchant constamment à nous en mettre plein la vue bien aidé il est vrai par une reconstitution des années 60 en tous points bluffante.

 

 

 

 En totale adéquation avec la musique aérée et enivrante de son compositeur attitré (encore une fois, Williams n'a pas son pareil pour signer des thèmes musicaux marquants à l'image de celui qui intervient lors de chaque « affrontement » entre Frank et Carl), Spielberg surfe avec aisance sur le monde d'illusions et illusoire de son anti-héros mais n'oublie jamais de nous rappeler la gravité et le dilemme d'ordre oedipien qui se noue (l'absence du père et sa possible et paradoxale substitution par celui qui doit l'arrêter). À ce titre, le réalisateur propose sans doute l'un de ses castings les plus judicieux : Leonardo DiCaprio est l'interprète idéal pour ce jeune homme auquel personne ne résiste. Tout en jouant avec élégance de son charme et de sa plastique avantageuse, l'acteur arrive à faire rejaillir toutes les errances et traumas de son personnage, s'imposant avec évidence comme le comédien le plus doué de sa génération.

 

 

 

En totale opposition, Tom Hanks continue à prouver qu'il n'a pas son pareil pour interpréter l'américain moyen, le monsieur tout le monde. Si les deux acteurs, scénario oblige, n'ont que peu de scènes ensemble, l'alchimie qui opère lors de leurs brèves mais mémorables rencontres physiques, s'avère stupéfiante. Le choix de Nathalie Baye pour le rôle de la mère française de Frank est tout autant une réussite qu'une évidence dans l'optique où Spielberg est un admirateur inconditionnel de Truffaut. Quant à Christopher Walken dans le rôle du père qui fait tant défaut à Frank, chaque scène du comédien (celle du restaurant en tête où il parle à son fils des circonstances dans lesquelles il a séduit sa mère) est instantanément grandiose.

 

 

 

Parce que donc Spielberg réussit avec maestria à nous divertir durant plus de deux heures en signant un film aussi léger et ludique (la mise en images des arnaques) en apparence qu'il peut être bouleversant et grave (l'impossibilité de (re)construire la cellule familiale tant désirée), Arrête-moi si tu peux est une oeuvre incontournable et majeure dans la filmographie prestigieuse du cinéaste. Depuis le début du nouveau millénaire, Spielberg enchaîne les films de manière quasi boulimique (surtout eu égard à la maturation de plus en plus longue à Hollywood pour faire aboutir les projets d'envergure). À tel point que le réalisateur maintient le rythme impressionnant d'un film par an avec à chaque fois, le tour de force de parvenir à nous épater. Alors franchement, qui aurait vraiment envie de l'arrêter ? 

 

 

 

Résumé

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commentaires
mola ram
06/03/2018 à 15:06

mon spielberg favori avec "temple of doom" et probablement un des meilleurs génériques de l'histoire du cinéma ! et puis il yahanks vs dicaprio

corleone
06/03/2018 à 08:05

Qu'attendiez vous de ce film à part un chef-d'oeuvre?
Un réalisateur passé dieu marchant parmi les hommes(Spielberg)
Un acteur déja reconnu mais en pleine élévation au statut de maestro de son art(Dicaprio)
Un génie de la méthode n'ayant plus rien à prouver(Hanks)
Abagnale A B A G N A L E.

Blop
05/03/2018 à 22:56

Une pépite ce film.
Celui la aurait mérité l'Oscar du meilleur film

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