Critique : La Trilogie du sabre

Patrick Antona | 14 février 2005
Patrick Antona | 14 février 2005

Enfin serait-on penser de dire, voici trois des pièces maitresses du grand expert du film de sabre japonais (jidai-geki ou chambara) qu'est Kenji Misumi dans des versions rendant honneur au style du cinéaste. Celui qui avait déjà pratiquement révolutionné le genre avec la version couleur du Passage du grand Bouddha (déjà avec Raizô Ichikawa) puis en lançant la saga des Zatoichi, s'attaque coup sur coup à trois adaptions littéraires, toujours pour le compte de la Daiei, et offre trois œuvres riches et passionantes. La présence de Raizo Ichikawa dans les trois films permet enfin d'apprécier le jeu de l'acteur dans des registres différents et de comprendre (un peu !) l'attrait morbide qu'il exerçait sur le public nippon des années 60. Il est dorénavant rangé au panthéon du film de sabre avec son décès prématuré en 1969, à l'age de 38 ans.


Le premier film de la trilogie, Tuer ! (Kiru,1962), adapté d'un roman de Shibata Genzaburo, nous permet de suivre le destin tragique d'un samouraï qui, balotté dans une lutte de clans dont les enjeux lui échappent, essaie désespéramment de trouver son équilibre auprès d'un foyer ou d'un maître. Mais marqué par le sceau de la fatalité, et ce, depuis sa naissance (son père étant obligé d'exécuter sa mère !), seule la mort et sa fonction catharsitique sera la seule issue possible. Si le film, au niveau du récit, respecte les canons du genre, avec énoncé des règles du bushido et dénonciation du machiavélisme des seigneurs de l'époque, c'est sur la forme qu'il en explose les limites. De la scène de décapitation du début au duel de la rivière, on peut admirer le travail de mise en scène de Kenji Misumi, son sens du cadrage et du suspens. Il va jusqu'à nous offrir une pointe d'érotisme déviant, domaine qui illustrera très souvent la série des Baby Cart qu'il entreprendra 10 ans plus tard.


Toujours dans la même veine (encore adapté d'après Shibata Genzaburo), La Lame diabolique (Ken Ki,1963) s'avère encore supérieur. Servi par un éblouissant scope couleurs, le film se teinte en plus d'un discours quelque peu critique sur la notion de devoir et de respect de l'ordre, ainsi que d'une touche de fantastique (le héros rattrapant les chevaux à la course !), le tout baignant dans une atmosphère quasi-surréaliste qui finissent par faire de La Lame diabolique un des chefs d'œuvre du genre, à ranger auprès de Goyokin ou de Yojimbo. Avec des scènes comme les entrevues avec le maître-espion, le don du sabre ou le rendez-vous champêtre entre le héros Hanpein et la jolie Osaki, c'est toute la maîtrise esthétique de Kenji Misumi qui nous apparaît (sûrement le fruit de son intérêt pour la direction artistique comme il est cité dans les entretiens), ainsi qu'une lecture plus tendancieuse du genre, où finalement Hanpein ne se rèvelera être qu'un pion comme un autre. Une fin délibérémént ouverte renforce encore plus le côté mythique du récit.


À la différence des deux premiers volets, Le Sabre (Ken,1964) est un drame psychologique se passant dans le Japon contemporain, et dont le cadre se situe au sein d'une école traditionnelle de kendo. Mais les thèmes qui y sont explorés permettent indéniablement de les rattacher au cinéma de genre et des arts martiaux. Tourné en scope noir & blanc, Le Sabre est l'adaptation d'un roman éponyme de Yukio Mishima. C'est une grande ambition pour Kenji Misumi, car à l'époque, peu de metteurs en scène ont réussi à transposer la violence et les méditations tourmentées de l'écrivain de manière satisfaisante. Le résultat sera à la mesure du talent du cinéaste: un réussite majeure. En suivant l'affrontement entre Jiro (Raizo Ichikawa, plus icônifié qu'à l'accoutumé) et Kagawa (Yusuke Kawazu) dont le but est la domination du groupe d'élèves, le réalisateur s'attaque aux derniers relents d'un Japon féodal, dont l'archaïsme survit au sein de ses écoles aux méthodes d'entrainement physique à la limite de l'inhumain. Évitant aussi le piège didactique en ne centrant pas son récit sur l'opposition entre la société passée et le monde d'aujourd'hui (la seule scène de l'oiseau mort réussit à elle seule à faire passer le message), Misumi arrive à injecter une dose d'ironie et de lègereté (les scènes avec les personnages féminins) qui évitent au récit une certaine lourdeur. Bien qu'il soit évident que la quête d'absolu et de perfection de son héros principal, détaché des réalités du monde, ne peut déboucher que sur le drame. Ce récit passionant est lui aussi dôté d'une facture technique hors pair : magnifique photo noir & blanc, éclairages au couteau, montage efficace dans les séances de kendo. Le Sabre montre bien que, en passant aisément d'un genre à un autre, Kenji Misumi ne perd en rien de sa maestria (il réalisera d'ailleurs par la suite un pur film fantastique avec Le Retour de Maijin). On espère désormais que la sortie de ce coffret permettra d'enchaîner sur d'autres pépites du cinéaste, sa filmographie comptant plus de 40 titres !

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