Critique : Capturing the Friedmans

Erwan Desbois | 5 février 2005
Erwan Desbois | 5 février 2005

Le projet initial d'Andrew Jarecki, le réalisateur de Capturing the Friedmans, était de faire un film sur les clowns d'anniversaire de New York. Mais au fil de ses discussions avec le plus célèbre d'entre eux, Silly Billy - alias David Friedman -, il découvrit que la famille de ce dernier a volé en éclats dans les années 80, et ce suite à la condamnation pour pédophilie de son père Arnold Friedman, professeur à la retraite respecté dans sa communauté, et de son frère cadet Jesse, âgé de seulement 18 ans à l'époque des faits. Dès lors, changement radical de sujet pour Andrew Jarecki : en reprenant l'enquête depuis tous les angles possibles, il va s'efforcer de démontrer comment une situation en apparence si limpide (un crime, deux coupables) cache en réalité un réseau complexe de positions personnelles, d'influences et de relations humaines qui rendent tout jugement définitif impossible. L'idée qui sous-tend l'ensemble du film est en effet que, dans toute cette affaire, aucune preuve factuelle n'a émergé pour appuyer l'une ou l'autre des deux thèses. La voie est donc grande ouverte aux conjectures et présomptions en tout genre, guidées par l'émotion plus que par la raison. Et l'émotion n'est jamais plus exacerbée que face à des accusations d'une telle gravité, comme Capturing the Friedmans en est la triste preuve.

Tout au long de sa contre-enquête, et sans remettre en cause le fait qu'Arnold Friedman (qui a reconnu plus tard être pédophile) est le principal fautif dans cette affaire, Jarecki lève le voile sur la déflagration produite par cette affaire et sur les responsabilités de chacun. Dans une démarche purement didactique, Jarecki manipule le spectateur par le biais des cadrages et du montage afin de démonter les deux visions manichéistes de l'histoire (tout le monde est innocent / tout le monde est coupable), défendues bec et ongles par chaque camp. Pour cela, il alterne témoignages subjectifs (les interviews des acteurs de l'enquête) et objectifs (les images de l'époque, qu'il s'agisse des nombreux films de famille des Friedman ou des archives de l'enquête et du procès), sans jamais intervenir personnellement en apparaissant à l'image ou par le biais d'une voix-off. Ce travail méticuleux culmine lors de l' « affrontement » créé artificiellement par le montage entre les témoignages de Jesse Friedman et de son avocat, chacun faisant reposer sur l'autre la décision de plaider coupable et de négocier en employant un argument de poids. A l'issue de cet échange, Jarecki enchaîne sur les images d'archives de la plaidoirie des deux hommes, laissant au spectateur le soin de se faire sa propre opinion sur le sujet.

Plus qu'une quête de vérité à l'issue incertaine, Capturing the Friedmans se révèle être un portrait acide et désabusé de gens normaux qui deviennent aveuglés par leurs sentiments, qu'il s'agisse d'amour filial, de ressentiments vis-à-vis du passé, ou encore de valeurs morales qui se transforment en intolérance (le raccourci entre homosexuel et pédophile intervient plus ou moins implicitement à de nombreuses reprises). Le résultat, c'est le déraillement de la machine judiciaire, qui bafoue les notions de procès équitable et de présomption d'innocence, et les remplace par une hystérie collective aux conséquences désastreuses. Pilonnée sans relâche depuis l'extérieur, déchirée de l'intérieur, la famille Friedman se désagrège sous nos yeux. Et toute l'empathie dont fait preuve Andrew Jarecki lors de l'épilogue ne peut masquer le fait que les dommages de cette affaire resteront à jamais irréparables.

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