Critique : Necronomicon

Fabien Braule | 25 janvier 2005
Fabien Braule | 25 janvier 2005

Il n'y a pas si longtemps, dans une galaxie pas si lointaine que cela, alors que le cinéma français de genre semblait s'être perdu depuis longtemps dans les brumes d'Avalon, le magazine Starfix laissait derrière lui des milliers d'orphelins. C'était, en ce début des années quatre-vingt-dix, sans compter sur la troupe de cinéphiles boulimiques qui avaient nourri le mensuel durant près de dix ans. Nicolas Boukhrief (Le Plaisir et ses petits tracas, Le Convoyeur), Martine Dugowson (Mina Tannenbaum) ou Christophe Gans (Crying Freeman, Le Pacte des loups), tous avec plus ou moins de succès prirent d'assaut les salles de cinéma au milieu des années quatre-vingt-dix, et aujourd'hui encore…

En 1993, Brian Yuzna, cinéaste déjanté du Dentiste et de Society, s'offrit les services de Shusuke Kaneko, cinéaste japonais, et de notre Christophe Gans national pour les besoins d'un film à sketches, inspiré des écrits de Lovecraft et du fameux livre des morts : le Necronomicon. Si l'ensemble peut paraître aujourd'hui un peu désuet, force est de constater que l'œuvre possède une évidente homogénéité, marquant tout aussi bien les obsessions de Yuzna et d'un cinéma organique que celles de Christophe Gans, du cinéma italien gothique et baroque de Mario Bava jusqu'au classicisme hollywoodien et flamboyant de William Dieterle et d'Alfred Hitchcock. Et c'est sans doute dans cette optique que les trois segments de Necronomicon portent leur singularité au cœur d'un cinéma de genre volontairement gore. Manifestement, le film, par-delà son entité de série B, s'affirme être, à bien des égards, un recueil effleurant du revers de la main le romantisme tel qu'il peut être perçu outre-Atlantique. Majoritairement présente dans le segment réalisé par Christophe Gans, cette monomanie prend ses racines dans le basculement de l'adaptation de la nouvelle de Lovecraft : The Rats in the wall. Ici, des extérieurs jusqu'à la plastique des lieux, tout aspire à la grandeur et à la démesure du cinéma classique, du Château du dragon à Rebecca en passant par Le Portrait de Jennie, l'univers de Gans transgresse Lovecraft dans le bon sens du terme, jusqu'à lui donner des allures d'Edgar Allan Poe.

Au-delà même de ces influences évidentes, sorte de marque de fabrique de l'ancien journaliste de Starfix et ancien élève de l'IDHEC, ce qui demeure fascinant dans sa représentation du cinéma (et qui se retrouvera d'avantage dans Le Pacte des loups plutôt que dans Crying Freeman) s'avère être aussi sa limite, nous demandant même jusqu'où l'art de la référence et de la citation peut aller. Fortement assimilées à des obsessions de cinéphile non digérées plutôt qu'à de simples hommages, le moins que l'on puisse dire c'est que le cinéma de Gans est un immense patchwork brodé de rêves et de cauchemars : un pur produit de la postmodernité, en somme.

Mais Gans n'étant pas le seul sur le projet, il serait quelque peu réducteur de ne pas rendre hommage aux deux autres cinéastes de ce « creepshow-like » : Shusuke Kaneko et Brian Yuzna, Cool air et The Whisperer in the darkness. Soit un mélange entre un cinéma japonais, inquiétant et symbolique qui a su prendre à son compte ce cinéma gore, physiologique et viscéral, propre par exemple au Festin nu, de David Cronenberg. De ce nouveau courant porté par le segment de Brian Yuzna, celui de Kaneko s'affirme comme le plus personnel, mais aussi comme une vrai révélation a postériori tant ce dernier s'inscrit, près de dix ans à l'avance, dans le plus pur credo des films d'horreurs contemporains (The Grudge, Dark water, Ringu).

Necronomicon, malgré ses quelques qualités et ses nombreux défauts, s'affirme davantage comme un objet de fascination et de culte dans la filmographie de Christophe Gans. La participation au projet de Bruce Campbell et la présence de Joseph LoDuca à la musique traduisent à eux seuls les véritables enjeu et plaisir de cette production : rendre hommage au cinéma bis fait de bric et de broc, dont Evil dead reste aujourd'hui encore le meilleur exemple.

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