Critique : Le Royaume

Stéphane Argentin | 10 janvier 2005
Stéphane Argentin | 10 janvier 2005

Chris Carter. Ce nom vous est peut-être familier. Pas étonnant, puisqu'on doit au bonhomme l'une des séries de SF les plus réussies qui aient jamais vu le jour sur le petit écran et qui, accessoirement, éleva significativement le niveau de qualité (visuel, technique…) du monde en apparence si étroit de « la petite lucarne ». Cette série, c'est bien entendu X-Files, ou l'histoire de deux agents du FBI chargés d'enquêter sur des phénomènes paranormaux inexpliqués, et en particulier sur l'existence éventuelle d'individus venus d'autres planètes et la conspiration gouvernementale (américaine mais aussi internationale) en vue de cacher l'existence de ces êtres aux yeux du public.


Si Chris Carter n'a plus beaucoup fait parler de lui depuis la fin de cette série mythique en 2002 (si ce n'est lorsqu'il s'agit d'un éventuel second long métrage), il n'en a pas moins été très actif durant les années quatre-vingt-dix. Outre X-Files, il fut également à l'origine de deux autres séries, de SF elles aussi : Millennium qui, faute de rencontrer un succès aussi méritoire, ne survécut que trois années, et Le Royaume qui connut un sort encore moins enviable, puisque la série ne souffla même pas les bougies de son premier anniversaire, arrêtée net après seulement neuf épisodes comme c'est le cas de nombreuses autres séries américaines dont personne n'entendra probablement jamais parler. La différence, i.e. la raison pour laquelle Le Royaume est parvenue jusqu'à nos oreilles vient assurément de l'homme à l'origine de cette série : Chris Carter. Mais quelles ont bien pu être les raisons d'un arrêt aussi brutal ? Défaut d'audience ? Faute des producteurs ? Un peu des deux (cf. les suppléments DVD).


(Ré)Évaluée aujourd'hui, soit légèrement plus de cinq ans après ses débuts à la télévision américaine (en octobre 1999), la raison est double. La première, la plus évidente, est que Le Royaume a joué de malchance. Si l'on considère son titre original, Harsh realm, traduit par « l'enfer virtuel », et que l'on s'attarde un bref instant sur le script (un militaire est « envoyé » dans un monde entièrement virtuel pour tuer un homme qui a pris le pouvoir de cette copie presque conforme de notre monde bien réel), la similitude avec un certain long métrage du nom de Matrix est plus qu'évidente. Et pourtant, comme le souligne une fois encore les suppléments présents sur les DVD, cette série tirée d'un comics était en préparation depuis deux ans avant sa première diffusion. Une diffusion qui eut toutefois le malheur d'avoir lieu quelque six mois après la sortie sur les écrans dudit Matrix. Résultat : Le Royaume fut considéré comme un sous-Matrix qui se contentait seulement d'exploiter un filon en vogue.


La seconde raison de cette durée de vie très réduite est plus directement liée au créateur de ce Royaume virtuel : Chris Carter. En effet, pour qui a déjà suivi ne serait-ce qu'un minimum d'épisodes de la série X-Files, il ne faut pas vraiment aller chercher bien loin pour trouver les similitudes entre les deux : complot militaire, centaines de corps alignés utilisés comme cobayes, personnage ambivalent (Inga Fossa en lieu et place de l'Homme à la cigarette), croyance religieuse, « native american » (i.e. les Indiens)… Les ressemblances sont beaucoup trop flagrantes pour être seulement fortuites. Résultat, on a souvent l'impression, à l'image de la série elle-même, de se retrouver plonger dans une copie virtuelle d'X-Files. Le Royaume est-il pour autant une mauvaise série qui ne méritait pas mieux que de se voir effacer aussi rapidement des grilles de programmes télévisées ? Peut-être pas. Le concept de la virtualité y est plutôt bien exploité, les ramifications d'une dictature militaire grandissante laissaient augurer de futurs développements aussi inquiétant que ceux du complot gouvernemental d'X-Files et, comme pour ce dernier, certains épisodes cherchaient à élever le débat bien au-delà du traitement purement fictif (Manus Domini et ses guérisseuses dont l'origine du don, par une instance supérieure, reste ambiguë : le programme ou la main de Dieu ?).


Malheureusement, Le Royaume n'aura pas eu le temps de faire ses preuves face au nouveau film de toute une génération (Matrix), de s'éloigner de l'ombre de sa grande sœur (X-Files) et de développer plus avant les prémices de ce qui aurait pu donner lieu à une belle série sur le thème des univers virtuels.

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