Les Chiens de paille : Critique

Julien Welter | 16 novembre 2007
Julien Welter | 16 novembre 2007

En artisan de la violence, Sam Peckinpah trouve sporadiquement un écho de son oeuvre dans la production actuelle, mais jamais d'héritier direct. Disparate et endommagée par des producteurs peu scrupuleux de la notion d'auteur, la filmographie du réalisateur de La Horde sauvage ne superpose parfaitement sa maîtrise technique virtuose aux thèmes narratifs qui lui sont chers qu'à de rares exceptions. Plus qu'en traitant isolément ses différents longs-métrages, il est alors préférable de voir son oeuvre comme une suite de détonations et de résonances. Par exemple, du choc assourdissant de La Horde sauvage subsisteront des bruits dans Croix de fer ou Le Convoi ; de Pat Garrett et Billy le Kid resteront des traces dans Tueur d'élite. Il n'existe peut-être que deux films atteignant la même amplitude : Chiens de paille (1971) et Guet-apens (1972).

En explorant dans les deux films les relations houleuses d'un couple, et en se terminant à chaque fois sur la résistance des amoureux face à une meute de voyous infiltrant un lieu clos, ces récits constituent un dialogue presque unique chez Peckinpah. D'abord parce qu'il est préexistant, ensuite parce qu'il est plus sec, Chiens de paille constitue la détonation de Guet-apens. Ce dernier, virtuose récit à plusieurs niveaux, semble en effet une arabesque en regard de la dérive simple et dépouillée du couple improbable que forment Dustin Hoffman, mathématicien en apparence pleutre, et Susan George, bourgeoise type « swinging London ». Tout y est en effet amplifié. De l'impuissance de son héros au viol adultérin, tout est montré sèchement, et la sexualité y est abordée presque frontalement comme source des problèmes.

 

 

Des quelques dissimilitudes se tirent alors des conclusions immédiates. D'abord, en regard des destins divergents de ces deux couples, on peut dire que, pour Peckinpah, savoir et ne pas voir ouvre la voie du pardon. Ensuite, puisque pour Dustin Hoffman seule compte la résistance aux individus extérieurs, alors que pour Steve McQueen seule importe la fuite avec l'argent, on peut en déduire que le réalisateur pense que l'adultère est inévitable, et qu'il est indispensable de garder en tête l'essence d'une relation plutôt que d'essayer de la préserver en entier. Sorte de Claude Sautet armé d'un fusil à pompe, Sam Peckinpah aborde les frustrations et les blessures consécutives à la vie à deux dans une sorte de diptyque improbable sur l'amour dans un monde violent et guerrier.

 

 

Le thème, bien qu'incongru, est toutefois cohérent puisqu'il ordonne ces rapports humains de la même façon qu'il filme la violence : en détonation et en résonance. De la même façon que le ralenti qui suit la sonore déflagration est une image de sa résonance, l'adultère est engendré par la simple pensée d'adultère. Ainsi tout s'ordonne-t-il en répercussion : le flirt engendre le viol, qui a lui-même des réminiscences insoutenables dans l'esprit de la jeune femme, et qui aboutit in fine à un déchaînement de violence. Au milieu de tout cela, le héros s'impose alors comme celui qui contrôle non pas la détonation mais ses résonances. De la même façon que Steve McQueen doit gérer les répercussions affectives et physiques des actes de sa femme, alors même qu'il semble dépassé, Dustin Hoffman, lâche et ridicule au début, se révèle maître de lui-même dans les pires répercussions.

 

Résumé

L'ayant amorcé avec les héros vieillissant de La Horde sauvage, Sam Peckinpah parfait dans Chiens de paille une définition inattendue de l'héroïsme, ce que Hollywood ne lui pardonnera jamais.

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