Critique : Azumi

Stéphane Argentin | 30 septembre 2004
Stéphane Argentin | 30 septembre 2004

Très remarqué quoique diversement apprécié avec son premier film Versus, mélange d'arts martiaux et de shambara fait de bouts de ficelle en hommage aux Evil Dead et autres Bad Taste, et compte tenu surtout du peu de moyens financiers dont il disposait, Ryuhei Kitamura, tout comme Sam Raimi et Peter Jackson, voit désormais plus grand. Les Américains ont leurs comics, les Japonais leurs mangas, et c'est précisément l'un d'eux que Kitamura adapte ici. Autant prévenir tout de suite, ceux qui n'ont été que peu ou pas emballé du tout par Versus ne le seront pas forcément davantage avec Azumi. Car, même si les têtes sont un peu moins tranchées, trouées ou explosées (il en reste, que les amateurs se rassurent), la virtuosité technique de ce metteur en scène nippon risque une fois encore d'en rebuter plus d'un. Et pourtant, aidé cette fois par des moyens nettement plus confortables et un script moins prétexte à un défouloir total, Ryuhei Kitamura nous livre une adaptation live très réussie d'un célèbre manga. Dans sa version intégrale tout du moins !

Inutile de tergiverser pendant des heures, la version courte d'Azumi ressemble à un animal auquel on aura retiré non seulement une partie du cerveau mais également une ou deux pattes. Comprendre par là que, contrairement au déjà massacré Musa, la prisonnière du désert, où seules quelques scènes de parlote avaient été retirées (pas loin d'une demi-heure tout de même !), Azumi s'est vu amputé également de plusieurs plans et scènes d'action, qui lui confèrent pourtant toute sa dimension « jeu vidéo » visiblement chère aux yeux du metteur en scène. Commençons d'ailleurs par là, même s'il sera bien difficile de dresser la liste exhaustive de toutes les mutilations, certaines coupes n'excédant guère plus de quelques secondes. NB : Les temps et chapitres mentionnés font référence à la version longue du film.

Dès la première grande bataille du film (l'attaque du convoi en pleine forêt à la 34e minute), les facultés physiques d'Azumi nous sont dévoilées dans toute leur grandeur puisque, histoire de s'échauffer un peu avant sa grande descente dans le ravin, elle effectue un gigantesque bond au-dessus de son rival à cheval. Mais le plus marquant reste encore la coupe de quelques secondes qui s'ensuit. Sortant de son habitacle de transport, le boss de cette séquence nous est à présent dévoilé en plan large, puis avec un magnifique plan en contre-plongée pour mieux souligner la toute-puissance de cet adversaire. Un ajout qui abonde dans le sens de l'approche très « jeu vidéo » de Kitamura, où les boss de fin de niveaux sont appréhendés dans toute leur grandeur, comme par exemple dans le récent et brillant Ninja Gaiden. Une approche visuelle prolongée par l'affrontement à un contre dix qui s'ensuit, au cours duquel Azumi prend littéralement tous ses adversaires de vitesse à grand renfort de giclées numériques que le Zatoichi de Kitano ne renierait pas, tout en fendant l'air avec son sabre dans l'une des meilleures réappropriations du célèbre « effet Matrix » depuis bien longtemps.

Cette montée progressive en puissance se retrouve ensuite à plusieurs reprises. L'attaque de nuit au chapitre 12 avec une entrée rallongée dans le village, de même que la sanglante ascension des marches (sans parler d'une petite virée sur les toits de la part du méchant chien fou), ou bien, une nouvelle fois, l'entrée en matière du boss en train de déguster tranquillement sa boisson, avant de se délecter du somptueux appât que va représenter ce maître à l'agonie (plus longue) et qui supplie encore davantage son disciple de ne rien tenter. Une supplique qui renforce considérablement les liens qui unissent tous ces guerriers. Car, non content de retrouver toute sa force physique, c'est également (et surtout) toute sa dimension dramatique qu'Azumi récupère dans sa version longue.

Après avoir été soumis à rude épreuve à la demande de leur maître lors d'un tout premier test au choix moral des plus cornéliens, les liens du groupe de guerriers s'en trouvent d'autant plus resserrés et leur détermination d'autant plus grande. Un constat que soulignent les taquineries à trois à 56min 20s, ou bien juste après la motivation de retourner combattre d'un Amagi pourtant agonisant. De merveilleux instants partagés avec ses compagnons d'armes qu'Azumi se remémore elle aussi à 2h 04min 30s avant de les chasser de son esprit en un clignement d'yeux lors d'un magnifique gros plan sur le visage de l'héroïne, qui repart immédiatement après achever sa mission purgative. Un ajout qui, au passage, relie bien mieux l'affrontement final et la dernière victime sur le pont du bateau. Car, le dernier point que semble avoir omis la version courte, c'est précisément son titre : Azumi. La force motrice, l'élément central du film, c'est elle : Azumi, adolescente victime d'un viol (quelques plans de plus au chapitre 13) devenue guerrière sans merci, non sans des adieux difficiles (échange d'un porte-bonheur en plus), alors qu'elle ne rêvait que de retrouver sa mère décédée lorsqu'elle n'était encore qu'une toute petite fille. Un souvenir souligné par la scène du rêve aux couleurs édéniques.

Autant de plans et de scènes centrés sur le personnage d'Azumi qui ne font que renforcer toute la détermination de l'héroïne dans sa quête de justice, dont le point culminant sera ce final à la furie si destructrice qu'il en ferait presque passée la mariée du Kill Bill : Volume 1 de Tarentino pour une enfant de cœur. On pourra d'ailleurs se demander jusqu'à quel point le metteur en scène américain, grand fan de films asiatiques, n'aurait pas posé les yeux sur le film de Kitamura, réalisé l'année précédant son propre diptyque. Par chance, ce final anthologique est demeuré intact. Et l'accroche publicitaire à beau scander fièrement « Pour la première fois au cinéma, une femme tue 200 hommes ! », il faut vraiment le voir pour le croire. Car c'est à ce moment précis que Kitamura se lâche complètement au cours de cet écumage à tout va à grands coups d'hémoglobine (prodigieux plan de giclée du sang entre les lattes de bois pour mieux suggérer toute la furie destructive des affrontements), au terme duquel ne subsistent que des monceaux de cadavres jonchant les rues du village. Une purification qui ne sera bien entendu complète qu'une fois le boss ultime défait : le personnage totalement déjanté tout de blanc vêtu du mercenaire androgyne. Kitamura montre alors toute sa maîtrise visuelle lorsque s'entrechoque les sabres à grands coups d'étincelles à la Highlander, tandis que la caméra rase le sol avant de s'envoler pour un tour de grand huit à 360° autour des combattants, alors que s'élève au milieu d'une musique ad hoc le bruit d'un hélicoptère.

Vous l'aurez compris, avec Azumi, Ryuhei Kitamura s'adresse une nouvelle fois à un public friand d'un certain cinéma virtuose et proche des univers qu'il aime (manga, sabre, jeux vidéos…), à la différence près qu'il y met à présent davantage de formes mais aussi de fond, contrairement à la simple surenchère visuelle qu'était Versus. Des dimensions qui ne sauraient toutefois être pleinement appréciées que dans la version intégrale du film où les 14 minutes de rallonge sont loin d'être uniquement décoratives.

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