Critique : Truands

Laurent Pécha | 8 décembre 2007
Laurent Pécha | 8 décembre 2007

On le pressentait après deux films plus que remarquables, Frédéric Schoendoerffer est un excellent cinéaste. Pour ceux qui en doutent encore suite à l'accueil mitigé d'Agents secrets, Truands va faire office de claque monumentale. Il y a dans ce film tout ce que l'on est en droit d'attendre du cinéma : une histoire passionnante, des personnages terriblement humains, donc forcement attachants malgré leur « métier » pour le moins sanguinaire, une introspection fascinante d'un milieu qui l'est tout autant, une pléiade de comédiens à leur zénith, sans oublier une sens impressionnant de la mise en scène. Truands respire le cinéma par tous ses pores.

Fidèle à ce qu'il avait admirablement fait dans Scènes de crimes et dans une moindre mesure dans Agents secrets, Schoendoerffer opte pour un réalisme à outrance et nous plonge au cœoeur du milieu des truands parisiens avec un souci de véracité bluffant. Contrairement à de nombreux prédécesseurs dans un domaine cinématographique ultra balisé, le jeune réalisateur ne cherche jamais à glorifier ou à rendre séduisant ces « seigneurs » du crime. Dans Truands, il n'est pas bon d'être de l'autre côté de la loi tant la violence qui y règne est à des années lumière de celle presque romantique et belle qui peut se dégager d'autres productions yankee ou asiatiques (on pense par exemple aux ballets chorégraphiques orchestrés chez John Woo). Ici, les tueries sont implacables et prendre une balle (ou surtout plusieurs) dans le ventre ou la tête n'a rien d'esthétique. C'est même tout le contraire ! En restant constamment neutre, se gardant bien de juger ces affreux personnages, tous plus pourris et retors les uns que les autres, Schoendoerffer fait de Truands un docu-fiction illustrant fort à propos le « l'homme est un loup pour l'homme » de Hobbes.

Non content de nous imposer comme il le dit lui-même un « Microcosmos chez les voyous », le cinéaste n'oublie jamais qu'il a aussi une histoire à raconter. Dans ce milieu si justement croqué et analysé, des hommes (surtout) et des femmes évoluent, s'aiment, se respectent, se jaugent et s'affrontent. Il plane sur Truands cet air de tragédie shakespearienne où l'on sent la mort planer à chaque instant au dessus de tous les personnages ; cette idée que jusqu'ici tout va presque bien mais que cela ne pourra pas durer. La roue ne cesse de tourner et le « caïd » d'un soir ne sera pas forcément en place le lendemain. Au sommet de ce sulfureux ballet morbide, gravitent des personnages charismatiques.

D'un côté, Claude Corti, le boss, celui que tout le monde respecte et craint auquel Philippe Caubère, acteur aussi immense que rare sur nos écrans, apporte une présence inouïe. Il faut le voir péter les plombs devant ses hommes de main, les menaçant de son calibre pour finir par exorciser sa rage en culbutant sauvagement une prostituée dans les chiottes du night club (prostituée jouée avec un naturel confondant par la star du X, Oksana). L'autre personnage phare de Truands est interprété par un Benoît Magimel glacial, sorte de digne héritier d'Alain Delon dans Le Samouraï. Son Franck, tueur à gages discret et méthodique, est à l'opposé de Corti avec qui il entretient une sorte de relation filiale inavouable. Vu comme une sorte de héros romantique (mais attention, les apparences peuvent être trompeuses), Franck est celui qui a compris plus que les autres la prédominance de la loi du plus fort. Autour de ces deux figures de truands diamétralement opposées, évolue un nombre impressionnant de seconds rôles qui tous, d'Oliver Marchal en acolyte de Magimel s'évertuant à normaliser sa vie à Béatrice Dalle, la femme de Corti qui apporte la seule touche de sincérité dans ce monde de brutes, arrivent à exister à l'écran et ce, même s'ils n'ont qu'une poignée de minutes pour le faire.

Ponctué de séquences chocs mémorables –(la fusillade du parking, joli hommage-décalcage à la référence du genre signée par Michael Mann dans Heat), filmé au plus proche de l'action avec une précision invisible des mouvements de caméra, magnifiquement photographié, Truands fait instantanément partie des grands films du cinéma français. Et à la sortie de la projection, on se prend à rêver de revoir tout ce « beau » petit monde dans une préquelle. À bon entendeur… ou ici plus exactement bon lecteur !

 

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