Critique : Scarface

Zorg | 7 novembre 2006
Zorg | 7 novembre 2006

1983. Deux ans après avoir refait le Blow-Up d'Antonioni, Brian De Palma réadapte un autre film de légende : le Scarface d'Howard Hawks de 1932. Cependant, à l'inverse du premier, où le réalisateur laissait éclater son talent virtuose de la mise en scène sans véritablement refondre l'histoire en profondeur, De Palma s'approprie entièrement le second. S'arc-boutant sur un script d'Oliver Stone, il remake Scarface de la cave au grenier et accouche au final d'une oeœuvre dense, unique, tout en offrant à Al Pacino l'un de ses rôles les plus mémorables.

De la scène d'ouverture, où l'on voit Tony Montana soumis au feu des questions d'agents américains cherchant à connaître ses origines, au dramatique final, où le même Tony se retrouve, une fois de plus serait-on tenté d'ajouter, seul contre tous, De Palma réinvente la success-story à l'Américaine. Malgré certains facilités qui prêtent un peu à sourire comme la séquence « Pretty Woman » qui sert de charnière à l'histoire, il organise avec rigueur et méthode l'ascension (irrésistible) et la chute (inévitable) d'un caïd de la drogue, avec son cortège de trahisons, de femmes fatales, de coups de force et d'allers-retours chez le blanchisseur.

À tout seigneur tout honneur, rendons à Al Pacino la gloire qui lui est due tant son interprétation fiévreuse transcende le personnage. L'acteur, bouillant comme jamais, porte le film sur ses épaules, improvise pour la postérité (le désormais célèbre « llello ») et débite inlassablement tirade sur tirade, dans son phrasé si unique, inlassable, infatigable. Porté par une devise aussi révélatrice que cathartique, « The world is yours » (Le monde t'appartient), intercalant d'autant plus de « fuck » entre chaque mot qu'il se poudre les narines, Tony Montana est un chien enragé qui ne se soumet à aucune règle, n'accepte aucune contrainte et élimine tout obstacle en travers de sa route. Dévoré par une ambition hors du commun, il viole littéralement sa terre d'asile, lui arrache fortune et pouvoir, comme pour lui faire payer d'être né pauvre et de s'être échoué sans le sou sur les côtes de Floride.

Si de son côté Pacino fait donc de son antihéros un caïd de la drogue au mauvais goût omniprésent, avec Cadillac en peau de zèbre, moquette du sol au plafond, moulures dorées, chérubins en plâtre, piscine dans la chambre et pyramide de coke sur le bureau, De Palma en vient de son côté à singer Carpenter lors d'un final au délire assumé. C'est Rio Bravo chez les dealers, et Tony Montana, demi-dieu halluciné sur sa montagne de poudreuse, dézingue à tout va l'armée de sbires lancés à l'assaut de son royaume, pour finir noyé dans sa folie.

Quoi qu'il en soit, malgré la patine accumulée au fil du temps (les années 80 n'ont épargné rien ni personne), Scarface demeure un film viscéral, enivrant, voire fantasmagorique, pas forcément très subtil, mais qui fascine de la première à la dernière minute.

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