Mission to Mars : Critique

Renaud Moran | 7 novembre 2006
Renaud Moran | 7 novembre 2006

L'odyssée spatiale de Brian De Palma

Misson to Mars est bien un film « depalmien ». Certes débarqué tardivement sur un projet impersonnel pour remplacer au pied levé le précédent réalisateur, notre homme n'en a pas pour autant abandonné son cinéma et ses obsessions. Il en a juste profité pour s'essayer à un genre (nouveau pour lui) qui le passionnait depuis son enfance et réaliser SON space opera, aventure humaine magnifique et passionnante qui évite les clichés inhérents habituels sur l'héroïsme et tous ce qui peut-être lié de près ou de loin à ce genre de films (hollywoodiens). Et cette patte, ce style unique et facilement identifiable de De Palma, fait de maestria visuelle et esthétique, se reconnaît immédiatement, dès les premiers plans du film, avec ce plan séquence (une habitude chez cet auteur) lors du barbecue donné en l'honneur des astronautes sur le départ. Point de doute alors. Il suffit maintenant de juger le film en tant que tel, pour ce qu'il est.

L'absence et le manque

Le film s'ouvre et commence sur ces deux notions pour ensuite ne plus jamais les quitter. Il y a d'abord l'absence de Jim McConnell (Gary Sinise) qui se fait attendre et tarde à venir au barbecue. Il y a ensuite celle de sa femme Maggie (Kim Delaney), elle aussi cosmonaute, qui vient de mourir tragiquement d'un accident et ne pourra participer à la mission de ses rêves. Enfin, il y a aussi la perte des membres de Mission Mars 1 dont Luke Graham (Don Cheadle) est le seul survivant et le sacrifice de Woody Blake (Tim Robbins). Tous ces disparus accompagneront le film et la Mission Mars 2 de leur souvenir, l'absence se transformera en présence. Le manque lui restera.

 

 

La danse du vide

On n'a pas vu l'espace et le vide aussi bien filmés depuis 2001. La caméra tourne en 360° autour des personnages et à l'intérieur comme à l'extérieur de la navette. De Palma qui a toujours su organiser l'espace, le créer et s'en affranchir applique ici son savoir-faire en utilisant magnifiquement le vide et son apesanteur. Il construit alors un superbe ballet (des corps et des objets). Le Dr Terri Fisher (Connie Nielsen) danse avec son mari Woody –image à laquelle fera écho celle, terrible, où Woody, dérivant dans l'espace infini, sera séparé définitivement de sa femme qui le regardera mourir. Autre danse : celle du sang, enfin libre, échappé de la main de Phil Ohlmeyer (Jerry O'Connell), qui fuit le vaisseau, attiré par un appel d'air (un trou dans la carlingue). Le même Phil, un peu plus tôt, dessine sa femme idéale avec des M&M's –image qui contient la clé de l'énigme et qui servira plus tard.

Le suspens depalmien

Accompagné par l'inquiétante musique d'Ennio Morricone qui vient ici convoquer les orgues divins du tragique destin, il jaillit naturellement d'une chorégraphie toujours aussi minutieuse et captivante. Et ici, dans l'espace, point d'excitation et de rapidité : la tension est lente, indolente. L'impact n'en est que plus fort. De Palma n'a même plus besoin d'utiliser le ralenti. On retrouve dans les deux plus grandes scènes du film tout l'art du réalisateur : le treuil qui au dernier moment s'arrêtera, parce que trop court, n'atteindra jamais Woody ; les débris de météorites, aussi violents et perforants que des balles et surgis de nulle part, viendront troubler l'apparente tranquillité de l'équipage et il faudra du temps à celui-ci pour comprendre ce qu'il se passe et résoudre le problème.

 

 

Le regard et l'image

L'obsession essentielle de toute l'œuvre du réalisateur. Ici également très importante. On y lit la passion des personnages mais aussi leur angoisse, leur tristesse, leur incompréhension et leur espoir. Terri regarde son mari se suicider en enlevant son casque, pour éviter à celle-ci de mourir en tentant désespérément de le secourir. Jim regarde en vidéo les dernières images qu'il a de Maggie ; celle-ci lui renvoie son regard à travers celui, passionné (par la vie, par l'amour, par cette aventure martienne qu'elle se prépare à faire) qu‘elle porte à la caméra. L'équipage de Mission Mars 1 regarde effrayé, le tourbillon dévastateur qui va les emporter. Phil contemple la beauté de son œuvre en bonbon. Il y a aussi le regard attendrissant, plein d'émotion, de la martienne/mère qui découvre ses descendants/enfants et qui se remémore la fin apocalyptique de sa planète en versant une larme (larme qui fait écho à celles de Jim et de Terri).

 

 

La femme. Le couple. L'autre

Ses trois termes intimement liés et imbriqués jalonne tout le film et en représentent l'accomplissement, le moteur et l'achèvement. Tout est affaire de relation et de maternité. C'est pour découvrir l'autre/l'inconnu que ces hommes et femmes partent à l'aventure. Cette autre qui se manifeste par la présence de ce visage féminin énigmatique et qui prend la forme d'une femme extra-terrestre (présente uniquement en image et non réellement). Cette autre qui serait notre mère à tous comme l'explique le document découvert par les astronautes dans le planétarium (Dieu n'est-il pas une femme ?). La mère, la femme, qui donne son sens à l'homme, autre moitié indispensable du couple (brisé ici par deux fois). Couple brisé de Jim, qui va dans l'autre retrouver cette « autre » qui lui manque tant ; pas le même, mais justement un autre, différent (couple reformé). Jim ne repartira alors pas sur Terre. Car il n'a plus rien à perdre en allant découvrir ce nouveau monde extra-terrestre.

À la recherche de notre humanité

Mission to Mars est une épopée humaine qui nous emmène à l'autre bout de l'univers : et la belle idée du film, c'est justement qu'il faille aller dans l'espace pour chercher notre humanité, découvrir nos origines. Cette fin extrême et fantastique répond et correspond inversement au réalisme des détails techniques et des situations du film. L'homme descendrait alors des martiens et l'ADN en serait la preuve. Premier film idéaliste et optimiste de Brian De Palma (il aura fallu attendre pour cela que le réalisateur quitte la Terre et parte dans l'espace), Mission to Mars est une œuvre « pure et généreuse » (a déclaré De Palma), spirituelle et profondément humaniste dont la mélancolie, portée par la partition élégiaque d'Ennio Morricone, rappelle bien d'autres grands films du maestro. Pas mal pour un film qu'il ne devait pas tourner !

 

Résumé

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