Critique : Les Fous du roi

Audrey Zeppegno | 1 novembre 2006
Audrey Zeppegno | 1 novembre 2006

Les politicards tous corrompus par le système ? En cette période de branle-bas le combat pré présidentielles, on est tenté de le croire. Et vas-y que Chirac fait des gorges chaudes de la baisse pharaonique du chômage et voilà que Ségolène pinaille en arguant que les sondages, c'est bien joli joli, mais faudrait pas se leurrer, parce que les chiffres, c'est bien connu, ça trompe énormément. Et patati et patata… La valse des campagnes ne nous lâchera pas avant mai prochain et en ces temps de salamalecs électoraux, Les Fous du roi (remake du film éponyme signé Robert Rossen, adapté du best-seller de Robert Penn Warren) tape pile poil dans le mille. D'emblée, le pitch fait tilt : Willie Stark, un cul terreux proche du peuple de Louisiane se laisse monter la tête par les sbires du parti adverse pour présenter sa candidature au rang de gouverneur.


Le but officieux de la manoeuvre : plomber l'offensive du camp ennemi pour disséminer les suffrages et remporter le gros lot. Dans un premier temps, le bon bougre marche dans la combine. Trop heureux de figurer sur la liste des prétendants au titre, il est persuadé que le Saint Esprit l‘aidera à rafler le Saint Graal. Tel un pantin désarticulé, il sillonne le conté, tâche de faire bonne figure, récite bien gentiment des speech appris par cœur. Puis, au gré d'une escale plus éthylique qu'une autre, on lui apprend qu'il n'est qu'une marionnette. Une poupée de chiffon manipulée pour servir la soupe au challenger. Et là, le béni-oui-oui, pas très à l'aise dans ses baskets, se rebelle. Il arrache sa muselière. Harangue ses concitoyens comme un plouc qui converse avec d'autres ploucs. Son franc-parler galvanise la foule. Et l'affaire est dans le sac. L'urne a parlé. L'outsider est dans la place. Vive l'égalité entre les classes, vive la proximité électeurs-décisionnaires !


Sauf que, comme apparemment, le pouvoir gangrène fissa les esprits les plus vertueux, le bienfaiteur qui d'antan biberonnait sa limonade en guise d‘intégrité, ne tarde pas à se métamorphoser en parrain alcoolo d'une organisation frauduleuse. Les affres du gouvernement, les paillettes cathodiques, les arcanes de la jurisprudence… Ou comment propulser une brebis galeuse au statut de ponte grisé par le pouvoir. Dans le rôle de l'apôtre corrompu, l'indécrottable Sean Penn fait des merveilles. Le voir prêcher ses ouailles avec la conviction du juste avant de virer au lascar peu farouche, est un vrai délice. Quoiqu'un chouïa trop verbeuses et répétitives, ses allocutions enjôleuses puis ses malversations graveleuses décantent à merveille le on du off caméra. Ce à quoi l'on a pas droit sur le service public et ailleurs.


Alors, oui, on attendait un scénar un peu mieux ficelé de la part de Steven Zaillian (Gangs of New York, L'interprète…). Les parenthèses consacrées au journaleux Jack Burden (Jude Law) engagé pour servir au mieux les intérêts de Stark plombent l'ensemble. Ses affaires de cœur avec l'intéressée Anne Stanton (Kate Winslet dans un caméo express quasi inodore) et sa camaraderie biaisée avec Adam Stanton (Mark Ruffalo, égal à lui-même, c'est-à-dire mal exploité dans le registre du preux chevalier émasculé au montage) nous égarent sur des pistes boueuses limite précaires. À ces déboires labyrinthiques, on aurait préféré que Les Fous du roi se greffe davantage sur les méninges chamboulées de cet homme d'état démantibulé entre son programme et ses manigances, sa légitimité et le savoir-faire peu scrupuleux auquel il adhère. Cet espace béant qui sépare ses grands idéaux prévisionnels des tours de passe-passe qui lui permettent de marquer des points, aurait mérité d'être autopsiés en profondeur. Reste le charisme infaillible de Penn, sa gouaille, le cocktail de pureté et de filouterie qui pétille dans ses yeux, l'apogée et la déchéance d'une politique qui n'était pas faisandée à la base, ses écarts de conduite et ces petits arrangements avec la vérité qui taraudent nos tuteurs et leurs entourages. Bref, de quoi nous armer pour 2007.

Résumé

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