Critique : Sarajevo, mon amour

Nicolas Thys | 20 septembre 2007
Nicolas Thys | 20 septembre 2007

Le cru 2006 du festival de Berlin est tombé juste en attribuant l'Ours d'Or à Grbavica, premier long-métrage d'une documentariste qui réalise là un très beau film politique et pacifique sur la guerre en ex-yougoslavie. Si le titre français, Sarajevo, mon amour, qui est en fait le refrain d'une chanson populaire yougoslave, fait irrémédiablement penser au film d'Alain Resnais, Hiroshima mon amour, c'est qu'il existe un lien thématique assez important : tous deux parlent de la reconstruction psychologique d'individus marqués par une guerre terminée quelques années auparavant, et du travail de la mémoire. Mais dans la capitale bosniaque pas de passion charnelle. Les protagonistes vivent davantage une Passion christique et semblent à la recherche d'une catharsis difficile à atteindre : ce qu'ils veulent enfouir, cacher, leur revient de manière inattendue et brutale.

Dans ce destin croisé d'une mère et de sa fille de 12 ans à Grbavica, dans les faubourgs de Sarajevo, tout est sous-jacent, rempli de silences et de traumatismes. L'importance de la musique, de la photographie et la mise en sène très intime et profondément humaine multiplient les non-dits et nous renseignent sur l'état d'individus qui se cherchent : la relation naissante de la mère, intérieurement en ruine, fait pendant aux premiers émois de la fille dans un immeuble et un quartier délabré et marqué par les bombes. Cette dernière qui n'a pas réellement connu la guerre est contrainte de la subir indirectement à travers les morts des uns, la vie difficile des autres et un lourd secret qui se dessine. Elle se rebelle et ira même jusqu'à braquer une arme sur sa mère mais elle est essentiellement révoltée contre un monde qu'elle découvre et qu'on lui refuse, qu'elle aimerait voir évoluer mais qui la rejette. La reconstruction doit venir de l'intérieur, de l'acceptation d'un passé innommable mais pourtant libérateur.

La séquence finale en est l'illustration parfaite. Une fois l'abcès crevé à propos de son père, soit disant mort en héros, la fillette se punira pour les mensonges de sa mère, d'une manière évocatrice : en se rasant le crâne. Si elle se délivre alors de l'empreinte de son géniteur puisqu'elle a, d'après sa mère, les mêmes cheveux que lui ; par ce geste hautement symbolique elle fait un bond de soixante ans dans le temps et dans la mémoire collective, expiant le secret de sa mère, pourtant victime, comme on punissait les femmes françaises amoureuses de soldats allemands en 1945. Mais ceci leur permettra à toutes deux de retrouver leurs racines et de pouvoir enfin commencer à vivre : la fille en chantant enfin, reprenant par cet acte sa place dans le monde, la mère en n'ayant plus peur de se mentir et en se libérant d'un passé chargé.

La dimension tragique du film est parfois un peu poussiv mais elle ne déborde jamais dans un pathos inutile. Une chose est sûre : on assiste à l'éclosion d'une réalisatrice très douée et jusque là inconnue du grand public, Jasmila Zbanic, qui réussit parfaitement son passage du documentaire à la fiction.

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