Critique : Iraq in fragments

Julien Foussereau | 5 septembre 2006
Julien Foussereau | 5 septembre 2006

Fort de l'impressionnant succès critique et public de Fahrenheit 9/11 il y a deux ans de cela, la santé du documentaire américain a retrouvé une seconde jeunesse. Ce miracle porte la griffe de Michael Moore qui a réinventé cette discipline au point de créer un sous-genre : le docutainment dans lequel le propos, aussi sérieux soit-il, doit revêtir les apparats du show pour ne pas faire fuir le spectateur. Si l'on peut tout à fait se réjouir de ce retour en grâce, il est tout aussi légitime de déplorer l'inévitable prédominance de ces documentaires « à la Moore » sur des œuvres plus recherchées comme ce Iraq in fragments d'une étrange beauté.


L'état des lieux du Moyen Orient est un thème privilégié pour son réalisateur, James Longley, puisqu'il a déjà enquêté sur la situation de la bande de Gaza en 2002. Aujourd'hui, le quotidien de l'Irak post Saddam semble être l'objet de ses préoccupations. Et alors, me direz vous ? On peut distinguer une certaine cohérence dans la courte filmo de Longley mais sa mise en scène s'inscrit en totale opposition avec les rois du docu US. Le cinéaste refuse de s'exprimer en voix-off pour évoquer ce pays exsangue. Il préfère s'effacer complètement à la manière de Depardon et laisser la parole à des hommes de tout âge. L'écoute hypnotique en voix off de leurs vies laisse un sentiment mitigé dans la mesure où l'on se demande comment Longley est parvenu à monter cette poésie sonore. Bien que l'on puisse être parfois dubitatifs, la crédibilité de certains dires n'est pas à remettre en cause. Ces fragments d'Irak rapportés par Longley sont ramassés et présentés sous la forme assez enthousiasmante d'un cinéma vérité aux qualités poétiques indéniables. Dès les premières minutes, il y a du Apocalypse now dans le caractère contemplatif de Iraq in fragments (cela va de la musique mystique à l'image contrastée et saturée d'orange) Tout en évitant de tomber dans l'esthétique gratuite, les tranches de vies exposées dans les images travaillées valent mieux qu'un long discours plus ou moins roublard.


Ainsi, la difficile condition de Mohammed, jeune garçon baghdadi de 11 ans, cancre à l'école et punching-ball de son boss sur son lieu de travail, résonne intelligemment avec le chaos de Sadr City dans le Sud. Dans l'antre de l'imam radical Moqtada Al-Sadr, la pauvreté extrême, le chaos politique et l'ignorance sont du pain béni pour les chiites islamistes, prêt à fusiller des marchands d'alcool et à devenir pire que le Rais qui les a si longtemps persécutés. C'est avec la dernière partie que Iraq in Fragments parachève sa brillante construction avec le Nord Kurde, nettement plus opprimé que les chiites. Lorsqu'un patriarche et ses six fils condamnent aussi ouvertement les martyrs lobotomisés, les pires horreurs perpétrées au nom d'Allah, on se dit qu'il existe encore un espoir pour que les hommes de bonnes volontés puissent repousser une guerre civile quasi programmée depuis que les américains ont renversé le régime. Certes, l'espérance est maigre mais elle est là.

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