Critique : Une vérité qui dérange

Julien Foussereau | 1 septembre 2006
Julien Foussereau | 1 septembre 2006

Le souvenir le plus marquant de l'année 2000 pour beaucoup d'américains fut sans aucune hésitation la terrible présidentielle au cours de laquelle une des plus anciennes et puissantes familles du pays ravit au nez et à la barbe d'Al Gore sa victoire au scrutin, avec l'appui de la Cour Suprême. Mais, au-delà de la colère se dégageait surtout une impression de tristesse. Parce qu'à la manière d'un Bobby Kennedy plus enthousiasmant que son frère John Fitzgerald, de grands espoirs étaient placés sur les épaules d'Al Gore. Le manque de charisme et l'État de Floride eurent raison de lui. Al Gore s'en est allé, à la présidence du Sénat d'abord, à son premier cheval de bataille ensuite : la prévention face au danger du réchauffement climatique.

Échaudé par son pays qui n'a eu de cesse de faire la sourde oreille devant les sonnettes d'alarmes régulièrement tirés ces trente dernières années par divers intervenants, Al Gore a pris le taureau par les cornes. Il a sillonné inlassablement l'Amérique de l'ère Bush Junior, celle qui a refusé d'entrée de jeu de ratifier le protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour informer ses concitoyens d'Une vérité qui dérange : si nous ne commençons pas à faire le nécessaire pour juguler ce problème issu de nos sociétés modernes, un dérèglement majeur du système climatique irréversible pourrait se produire d'ici dix ans, rendant notre bonne vieille planète inhabitable… Vous êtes sceptiques, hein ? Sans mauvais jeu de mots, cela vous laisserait même froid ? Vous auriez tort ! Le travail de vulgarisation scientifique fourni par « l'ex-futur président des États-Unis », comme Gore se définit non sans humour lors de ses conférences, reflète bien l'esprit du documentaire américain. Un esprit qui pourrait être résumé de la façon suivante : « Si tu veux informer, fais en sorte que ce soit fun ! » Il n'empêche que la démonstration d'Al Gore est implacable.


Par le biais de séries de photos sur les lacs ou glaciers célèbres prises sur un demi-siècle, de statistiques précises et de sources sûres, de graphiques climatologiques, météorologiques approuvés par l'écrasante majorité de la communauté scientifique, voire même d'un dessin animé inspiré de Matt Groening, Al Gore fait l'état des lieux d'une planète qui va mal à force de voir ses ressources surexploitées. Il en profite pour tordre définitivement le cou, par la même occasion, aux hypothèses contraires. C'est bien simple, il faut être un crétin fini, un scientifique travaillant pour le compte d'un consortium pétrolier et / ou Michael Crichton pour ne pas faire le lien ! Si Davis Guggenheim est parvenu à rendre Une vérité qui dérange si passionnant, c'est parce qu'il a su s'effacer derrière le show essentiel d'Al Gore tout en développant un assez beau portrait du personnage, fait de doutes et de solitudes, en décalage avec l'assurance et la détermination de son personnage scénique. Ces échappées hors de la démo sur lesquelles il s'exprime en voix-off laisse apparaître la sincérité d'un homme qui, très jeune, fut pris sous l'aile de Paul Reverre, le premier grand scientifique ayant alerté l'opinion publique sur le réchauffement climatique. Impression confirmée par les images d'archives du jeune député apostrophant un congrès visiblement peu concerné.


Certes, on frôle de temps à autre l'hagiographie et le caractère insistant de la musique lors des passages introspectifs aurait pu être évité. Tant et si bien qu'on en vient parfois à se demander si cela ne tient pas davantage de la manipulation. Davis Guggenheim jouerait-il sur la corde sensible afin de préparer un éventuel retour politique (surtout lors du passage sur l'accident de son fils) ? Ou alors est-ce une façon de rappeler à quel point il aurait pu être un hypothétique grand président ? Certains ont récemment fait part de leurs doutes à propos des 10 conseils simples pour réduire les émissions de CO2, tout en arguant que les spectateurs seraient déjà acquis à la cause du film. Nous ne saurions trop recommander à ces mêmes personnes de se laisser à nouveau convertir par les thèses véhiculées dans Une vérité qui dérange : ils réaliseraient qu'il n'est jamais trop tard pour corriger les erreurs passées et que les actes accompagnant cette prise de conscience valent autant, sinon plus, que les résolutions internationales. Un bon sens qu'il nous incombe d'appliquer.


PS : Les abus des États-Unis en matière d'environnement peuvent nous sembler lointains à nous européens, moins accros à la voiture que les américains et bien plus conscients du réchauffement global dû aux émissions de CO2. Mais il suffit de constater la recrudescence de glandus au volant de 4X4 (souvent des femmes, qui se sentent plus en sécurité en hauteur, ben voyons !) dans nos rues pour comprendre qu'une sortie hexagonale d'Une vérité qui dérange est tout à fait appropriée.

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