Critique : Water

Marjolaine Gout | 4 septembre 2006
Marjolaine Gout | 4 septembre 2006

Préparez-vous à embarquer pour un voyage qui étanchera votre soif. Water ne vous laissera en aucun cas perméable à sa douche. Vous sortirez imbibé par la teneur de cet élixir. Après Fire et Earth, le dernier cru de la trilogie de Deepa Mehta nous immerge dans une atmosphère moite et étouffante. Au-delà, d'une calligraphie régulière des saris blancs, on s'immisce dans l'intimité de femmes aux crânes rasées. Les imageries sont fortes et saisissantes. Deepa Mehta capture l'instant, une faille entre un malaise oppressant teinté de sublime. Avec subtilité on s'infiltre au sein des souffrances et des joies de ces femmes.

S'abreuvant d'un sujet houleux : le veuvage en Inde, Deepa Mehta place son intrigue à une période cruciale, 1938, époque marquée par l'ère Gandhi. Dans les méandres du film, s'écoule ainsi les préceptes et idéaux du Mahatma par le biais de son avatar Narayan (John Abraham). Mais une autre voix inonde le film, celle de la réalisatrice, qui, abasourdie 10 ans plutôt par la détresse d'une veuve, s'est plongée dans ce projet périlleux, où elle dut faire face aux menaces de mort et aux attaques. Echo des veuves, Deepa Mehta nous emmène dans leur ashram et nous projette dans cet enfer inacceptable où une échappatoire surgit avec l'arrivée de l'intrépide Chuyia. 8 ans et déjà veuve, elle ne souhaite guère vivre une existence dans le renoncement. Par le jeu, les liens se tissent et les figures fantomatiques des veuves retrouvent vie à son contact.

Water est au même titre que le Taj Mahal, « une larme sur la joue du temps » (dixit R. Tagore). C'est avec virtuosité et grâce que Deepa Mehta, assemble les nuances de coloris et compose chaque plan en un tableau. Hymne à la vie, description corrosive d'une condition devenue identité, elle nous expose le chemin de croix infligé depuis des millénaires aux femmes. Les veuves hindoues sont écartées de la vie sociale et poussées à l'ostracisme. Elles subissent une ségrégation silencieuse, visible par leur étoffe blanche. Leur sari blanc a pour fonction de séparer, d'avertir le passant qui croise une veuve de son statut. Ce suaire revêt le sens de la mort, de la malédiction et de la faute grave. La veuve représente dès lors la perte du Sowbhagya, la bonne fortune et est assimilée au mauvais œil.

Deepa Mehta, révèle ici les conditions de vie des veuves dictées par les préceptes de textes religieux. Fardeau, tare d'une nation, elles sont devenues le symbole des travers d'un pays. Avec Chuyia, ce sont les croyances ancestrales qui sont dénoncées. La famille l'abandonne par tradition. Elle est synonyme de malédiction et mourir sur les rives du Gange lui assurera son salut. Kalyani dévoile les dessous de la prostitution et suggère ceux du « système Sevadasi » (toujours actuel dans certains bhajanashrams) dans lequel un service rendu à un riche ou à un homme de pouvoir est vu comme un acte de piété. Enfin, Narayan révèle une politique corrompue qui ferme les yeux sur le sort des veuves à des fins économiques, n'ayant pas ainsi à leur verser de pension.

Water émerge de ses eaux troubles et profondes un mélange de stars étonnantes issues de plusieurs générations avec notamment de grandes actrices comme Seema Biswas (Bandit Queen) et un monument du cinéma hindi : Waheeda Rehman (Pyaasa pour ne citer que lui). Water exulte par l'interprétation exceptionnelle et poignante de ses comédiens.

D'autre part, la musique aérienne et enivrante de A.R. Rahman, rythme au clapotis des larmes de pluie versées, les vies des veuves, leur souvenir tenace, leur plaisir profane, apportant ainsi un souffle de fraîcheur. De même, l'eau enveloppe le film. Fil conducteur où tout converge, sacrée, divertissante et vitale, l'eau accompagne les hindous dans la mort. L'eau est ici l'air, la dernière source de vie palpable pour les veuves. Water reste un témoignage indispensable de la condition inhumaine de vie et du traitement des veuves hindoues dû à des préceptes caducs et une politique encline à abandonner ses veuves. Water est un film à voir sans modération.

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