Critique : Antibodies

Laurent Pécha | 24 juillet 2006
Laurent Pécha | 24 juillet 2006

Avec son titre anglais et son affiche tape à l'œil, Antibodies pourrait bien passer pour une production yankee médiocre qu'un distributeur opportuniste sortirait à la va-vite, histoire de profiter du marasme cinématographique estival en gardant un œil sur les éventuels futurs revenus vidéo. Que nenni s'écrie votre serviteur (qui, pour la petite histoire, ne faillit jamais aller voir le film en projection mais ceci est vraiment une autre histoire…) qui, dans les lignes qui vont suivre, tentera de convaincre l'ami lecteur pas encore à la plage d'aller tenter l'expérience éprouvante de ce thriller teuton d'une maîtrise technique confondante.

Les affiches ont beau proclamer de manière délirante que l'affreux Stay (sortie le même jour) est le thriller de l'été s'appuyant pour cela sur un casting glamour (Ewan Mc Gregor et Naomi Watts) et un cinéaste ayant fait ses preuves (De l'ombre à la haine), ne soyons pas dupe : la vraie claque estivale, c'est bien Antibodies qui nous l'assène. Alors que l'on continue l'éternel débat du renouveau du cinéma de genre français, voici que débarque sans crier gare le deuxième long-métrage d'un jeune cinéaste (voir son interview où l'homme, cinéphile, défend une conception du cinéma des plus enthousiasmantes) qui a pris le meilleur du thriller à l'américaine tout en y intégrant ses obsessions européennes et, plus particulièrement, allemandes.

Même s'il s'en défend (cf again notre interview), Christian Alvart signe avec Antibodies un thriller haletant et d'une noirceur que n'aurait pas reniée un certain William Friedkin. « Le combat entre le bien et le mal ne se joue pas entre des individus, mais à l'intérieur de chacun. Chaque jour ! » Avec cette phrase que le réalisateur de French connection a sans doute proclamé un jour lors d'une de ses innombrables interviews (mais pas avec nous ou presque), Alvart synthétise avec une rare justesse le cœur de son film. Après une ouverture diablement efficace mettant en scène l'arrestation musclée d'un dangereux serial killer où le cinéaste impose en quelques plans et séquences une richesse formelle totalement bluffante (cinémascope élégant et précis, photo aux ambiances particulièrement travaillées, bande son riche et complexe,…), Antibodies nous emmène « tranquillement » dans les méandres sombres de l'âme humaine.

Lorgnant du côté du Manhunter de Michael Mann et du Silence des agneaux de Jonathan Demme (plus ou moins ouvertement cités dans le récit), Alvart capitalise sur le jeu du chat et la souris qui s'instaure entre le serial killer isolé dans sa cellule et le flic obsédé par la recherche de la vérité pour imposer une réflexion troublante sur la dualité qui sommeille en chacun de nous. Tout le film fonctionne autour de cette dichotomie entre les personnages et les lieux où ils vivent, une Allemagne clairement disparate où, à la ville remplie de vices et de corruption (les scènes dans le bar à putes, l'attitude désinvolte de l'inspecteur, la tentation de la fille facile,…) répond la campagne du héros policier où la religion, l'ordre établi et le quiétude jusque là prédominaient. Mais le meurtre d'une jeune fille dans ce lieu paisible et retiré a tout gangrené, et peut être encore plus qu'ailleurs, la sensation de faire face à un mal tapi devenant petit à petit aussi insupportable que pesant pour l'ensemble de la communauté. Emerge alors pour le spectateur averti un véritable sentiment de malaise quand les fantômes sombres de l'Allemagne nazie ressortent indirectement au détour de certaines séquences (la réunion dans la salle du village pour tenter de confondre le meurtrier). Quand la portée du message du cinéaste sur le Mal, capable se cacher chez la plus inattendue et innocente des personnes, prend un virage spectaculairement angoissant dans la dernière demi-heure du récit, Antibodies atteint son sommet émotionnel.

Si le final, pour le moins controversé mais logique et, finalement, humain, vient tout juste tempérer le sentiment d'avoir pris une claque monumentale, on ressort de la projection médusé d'avoir assisté par le plus grand des hasards à ce qui sera peut être l'acte de naissance cinématographique d'un futur très grand réalisateur.

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