Critique : Le Samouraï du crépuscule

Patrick Antona | 8 mai 2006
Patrick Antona | 8 mai 2006

Après La Servante et le Samouraï distribuée l'année dernière, voici le deuxième volet d'une trilogie (en fait le premier chronologiquement) mise en scène par Yoji Yamada censée montrer l'envers du décor du monde des samouraï japonais, au début du XIXème siècle.

Évitant le côté belliciste et martial qui a fait les grandes heures du chambara, Yoji Yamada se base sur des romans de Shuuhei Fujisawa qui adoptent un point de vue social, rendant par là plus humain ses hommes qui ont voué leur vie à leur sabre et à leur devoir de soldat d'exception. À travers les deux personnages principaux du film, Seibei Iguchi (Hiroyuki Sanada) en samouraï en plein veuvage ayant raccrocher son katana, et Tomoe Iinuma (Rie Miyazawa) femme en révolte ayant quitté un mari trop violent, c'est une critique ouverte d'un monde japonais bien trop rigide dans lesquelles des individualités bien marquées ont le plus grand mal à s'épanouir. Et bien que l'action se situe au prémices de l'ère Meiji (en gros la période où le pouvoir tenu par les féodaux a basculé du côté des commerçants et des entrepreneurs), on sent que Yoji Yamada fait un parallèle évident entre la situation d'un Japon encore archaïque et celui d'aujourd'hui, où les exigences envers les personnes (le respect de l'autorité, les règles sociales à ne pas déroger, le statut limité de la femme) n'ont pas tellement évoluées.

Mais loin de procéder de manière lourde, le réalisateur brosse, par le biais de tableaux plutôt inspirés, ce qui fait le quotidien de ces êtres au demeurant sympathique. Entre Seibei aux revenus et à la vie plus que modeste (ses vêtements sont de véritables guenilles), travaillant comme scribe de seconde zone pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, et Tomoe, espiègle et aimante, qui s'immisce dans le quotidien de Seibei, pour déjà l'aider dans l'éducation de ses deux filles, c'est tout à la fois une relation poétique et émotionnelle qui va se nouer entre ses deux parias faits l'un pour l'autre, relation où l'humour n'est pas absent.

Quant à l'action, car comme un boomerang, la violence refait surface toujours pour celui qui a décidé de suivre une voie pacifique, elle est illustrée par deux séquences efficaces et spectaculaires mais néanmoins réalistes. La première, un duel au bord de l'eau où Iguchi se défend uniquement avec un bâton, permet à Hiroyuki Sanada de faire preuve de qualités athlétiques impressionnantes mais aussi d'un charisme que les spectateurs peuvent commencer à apprécier (voir ses prestations dans Le Dernier Samouraï ou Wu-Ji). Dans la seconde séquence, plus longue et violente et quasi-claustrophobique, c'est toute l'humanité et la clairvoyance d'un Iguchi comprenant l'inanité du devoir de samouraï qui permet de donner au film un relief profondément moral. La direction artistique est au diapason du scénario, avec cette vision naturaliste et aride de la ruralité dans laquelle évolue les personnages, donnant l'impression qu'une caméra a vraiment réussi à s'immiscer dans le quotidien des japonais de cette époque particulière.

Yoji Yamada démontre qu'à l'age vénérable de 75 ans, non seulement il est encore capable de surprendre avec un sujet qui semblait pourtant bien balisé, mais aussi qu'il existe au Japon des artistes qui ont un regard désenchanté et critique à la fois sur le présent et sur le passé, alors que certains réalisateurs ou créateurs tendent à renouer avec un nationalisme voir un « révisionnisme » du plus mauvais aloi. Le Samouraï du Crépuscule est, à cet effet, un spectacle tout à la fois exemplaire et touchant, porté par deux acteurs gracieux, ainsi que par les interprètes des deux petites filles d'un naturel confondant. Le film de Yoji Yamada a remporté pas moins de treize récompenses au Japon et a été nominé aux Oscars 2004 pour le meilleur film étranger, preuve que Le Samouraï du Crépuscule, malgré ses dehors modestes, tout comme son héros, n'en demeure pas moins une oeuvre marquante d'un genre devenu essentiel, le jidai-geki (le film historique japonais).

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