Jade : critique à l'instinct basique

Patrick Antona | 19 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Patrick Antona | 19 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Sorti en plein milieu des années 90, Jade était le genre de projet qui sentait l'opportunisme à plein nez. On peut dire, avec le recul des années, que le résultat en est tout autre. Evitant le côté clinquant et choc vers lequel louchait le script originel, William Friedkin opte pour un côté sombre et crépusculaire le rapprochant des classiques du film noir.

FRIEDKIN INSTINCT

Prenez un grand réalisateur culte, William Friedkin, dont les derniers films n'ont pas laissé de grands souvenirs (La Nurse en 1990, Blue chips en 1994) et qui a besoin de redorer son blason auprès des producteurs. Vous y ajoutez un scénariste, Joe Ezterhas alors en pleine grâce commerciale (Basic Instinct et Sliver), excellant dans la recette mêlant sexe et thriller, et dont tous les contrats se négocient à coup de millions de dollars. Et en dernier ingrédient, vous relevez la sauce avec un casting de choc alliant jeune loup issu des classes de la TV (David Caruso, tout frais) et une actrice qui se présente comme le pendant brun de Sharon StoneLinda Fiorentino, dont le rôle de femme fatale dans Last seduction avait marqué les esprits à l'époque.

On peut se dire que Jade avait ainsi tous les éléments pour aboutir soit à un monument de film de genre thriller sexuel (Basic Instinct) soit à un somptueux ratage (Basic instinct 2).

 

photoOuaip, c'est bien un thriller érotique

 

D'ailleurs ne s'y trompant pas, William Friedkin a remanié de fond en comble le scénario de Joe Ezterhas, au point que celui-ci voulu faire retirer son nom du générique. Cela n'empêcha pas le film d'être massacré par la critique et boudé par le public, fracassant quelques carrières au passage : David Caruso et Linda Fiorentino ne seront plus jamais têtes d'affiche au cinéma et Joe Ezterhas étant désormais aux abonnés absents après avoir sorti ses mémoires titrées « Hollywood Animal ».

Et du film Jade en lui-même, que reste-il ? Au-delà d'une histoire dont l'originalité n'était pas la première qualité (encore une histoire de meurtre dans la haute société avec une femme hyper-sexuée comme suspecte), William Friedkin aborde ce qui demeure ses sujets de prédilection : le dilemme et le conflit qui règne dans les esprits de ceux qui évoluent entre le bien et le mal, la corruption et l'hypocrisie qui règnent dans la société américaine (ici c'est le monde de la justice qui est épinglé), et la déliquescence des sentiments et des idéaux qui amènent la souffrance. Un traitement déprimant d'une intrigue classique alternant brillament suspens, interrogatoires, scènes de sexe et poursuite.

 

photoDavid Caruso, avant Les Experts

 

EXPERT EN AMERTUME

Si David Caruso ne démérite pas et assume déjà son côté monolithique qui fera sa posture de jeu favorite pour les années à venir, le couple mal en point formé par Chazz Palminteri et sa vénéneuse épouse Linda Fiorentino compose l'élément brillant et torturé, voire sensuel, qui tire vers le haut le film de Friedkin. À ce trio central, il faut ajouter les prestations éfficaces de Richard Crenna en procureur ombrageux, celle de Michael Biehn, toujours excellent dans de rôles de seconds couteaux peu recommandables, Donna Murphy brillante en lieutenant de police (vue dernièrement dans la série Les Experts: Las Vegas, tiens, tiens ...) et le premier rôle à l'écran de la top-model Angie Everhart, en prostituée qui en sait trop.

Du point de vue action, Friedkin assure le côté syndical avec scènes de poursuite pédestres et surtout deux chasses automobiles anthologiques (une constante dans l'oeuvre policière de Friedkin) extrêment violentes et physiques, à l'époque bénie où les cascades ne se faisaient pas sur ordinateur, des règlements de compte secs et brutaux, le tout se situant entre les quartiers d'un Chinatown atmosphérique et menaçant et les salons cossus des officiels de San Francisco, deux lieux soumis au crime et à la perdition.

 

photoAngie Everhart

Si on peut regretter que William Friedkin n'aille pas assez loin et expédie un peu vite la résolution de l'enquête (mais avec un affrontement final en clair-obscur demeurant un des modèles du genre), il réussit à toucher là où on ne l'attend pas : la peinture sans fard de la compromission, qui va amener ses trois personnages principaux jusqu'au point de rupture. La photographie aux teintes verdâtes prononcées et quasi-monochrome d'Andrzej Bartkowiak (futur yes-man aux commandes de Roméo doit mourir et du vilain Doom) et la musique angoissante de James Horner sont d'autres éléments positifs à mettre au crédit à la réussite artistique de Jade.

 

photo

Résumé

Jade est un film imparfait mais extrêmement cohérent dans la filmographie dans son auteur William Friedkin, qui nous livre tout de même ici une conclusion troublant et ambigüe extrêmement réussie.

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commentaires
Andarioch
05/09/2018 à 14:58

Linda Fiorentino, la quintessence des femmes fatales.

Ben
20/08/2018 à 17:19

Je conseille fortement l’ouvrage « le thriller erotique » de Linda Belhadj!!

warriors
20/08/2018 à 08:14

William Friedkin the best

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