Critique : Klimt

Erwan Desbois | 26 avril 2006
Erwan Desbois | 26 avril 2006

Fans de biopics à l'américaine, passez votre chemin. Klimt ne sera en effet pas pour avril ce que Walk the line fut en février et Truman Capote en mars. Le plus célèbre et controversé des peintres viennois de la période faste située à cheval entre le XIXè et le XXè siècle est ici un passeur, un guide plus qu'un sujet d'observation. Ce choix a au moins le mérite de nous présenter dans le rôle-titre un John Malkovich très sobre et ne cabotinant absolument pas ; la preuve que, dirigé par un metteur en scène qui sait ce qu'il attend d'un acteur, l'homme peut tout à fait se mettre au service d'un univers sans tirer la couverture à lui.

Dans le cas présent, le réalisateur Raoul Ruiz se sert de Klimt comme d'un dénominateur commun à ses ambitions nombreuses et diverses, qui se superposent plus qu'elles ne se complètent : réflexion sur la société, sur l'art, recréation d'une époque, exploration des potentialités du cinéma. A l'arrivée, la réussite de certains de ces objectifs et l'échec d'autres fait de Klimt un long-métrage inégal, dans lequel l'alchimie ne se fait jamais vraiment. La raison première est l'utilisation d'une forme bien trop alambiquée, même pour le spectateur de bonne volonté. Selon les propres termes de Ruiz, le film est une « rêverie » qu'aurait pu imaginer Klimt au moment de se remémorer sa vie sur son lit de mort. S'y entremêlent dès lors souvenirs lucides, surimpression de plusieurs réalités et brusques décrochages cauchemardesques ou oniriques dans un ballet intrigant par moments mais le plus souvent épuisant. Comme un footballeur talentueux qui enchaînerait les dribbles jusqu'à en oublier de passer le ballon, Ruiz ne donne pas assez d'informations au public qui, à moins de connaître sur le bout des doigts la vie de Klimt, passera une grande partie du film à tenter de décrypter les bribes de faits authentiques disséminées ça et là au lieu de profiter pleinement de la fluidité et de la sensualité présentes dans le récit.

Ces revirements (trop) brutaux et (trop) nombreux entre réalité historique et fiction déstructurée s'accompagnent d'un autre défaut, qui affecte le fond du film. Il s'agit de l'utilisation faite par Raoul Ruiz de la figure de Klimt pour faire passer ses propres idées sur l'art et la société aujourd'hui, idées très arrêtées voire simplistes : tout se sclérose peu à peu, et Ruiz se place parmi les privilégiés situés au-dessus de ce déclin. La méthode est pompeuse et déplacée, puisqu'en agissant de la sorte Ruiz prend à témoin une figure historique renommée pour légitimer sa vision du monde, sans jamais chercher à nous prouver que Klimt la partageait réellement.

Du point de vue de la narration, Klimt a donc du mal à fonctionner sous tous les angles. Reste une superbe peinture de l'Europe des années 1900, cette « Belle Époque » que Raoul Ruiz avait déjà filmée dans Le temps retrouvé. Les multiples décors sont somptueux, opulents et superbement mis en valeur par les nombreux mouvements de caméra employés par Ruiz pour nous faire ressentir l'enivrante euphorie de cette période. La lumière de Ricardo Aronovich (L'important c'est d'aimer, Providence, et aussi Le temps retrouvé), tout aussi sublime, englobe le tout dans un halo doré qui rappelle celui des tableaux les plus célèbres de Klimt. Tout cela produit donc de bien belles images ; mais l'étirement de celles-ci sur un peu plus de deux heures sans fil conducteur précis rend cette beauté bien vaine.

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